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Le jardin secret de Chantal Roos

Chantal Roos est décrite par beaucoup comme la reine d’un monde encore secret, arcane, celui du parfum. Mais Chantal Roos ne ressemble pas à une reine. Elle ne ressemble pas non plus à une femme d’affaire. Peut-être parce que la dame a conservé un regard neuf, frais, un regard de jeunesse, qui sait les plaisirs simples, mais aussi les choses d’importance. Celle qui a créé Opium, qui a inventé Le Mâle et l’Eau d’Issey, celle encore qui depuis quelques années, crée des fragrances pour sa propre marque, Dear Rose, est de ces personnes qui considèrent encore aujourd’hui qu’un parfum est une évocation, une rêverie. Chaque parfum a son histoire, chaque histoire son parfum, et au commencement d’une soirée de canicule, TTT a écouté Chantal narrer, l’air de rien, avec fraicheur, quelques parfums, quelques rêveries. Vaines étaient les questions, la grande dame ne les laissait pas toujours se poser, passant d’un souvenir à un autre, d’une pensée à une autre, rebondissant, interrogeant, s’interrogeant, nous donnant peut-être la plus belle leçon de ceux qui ont réussi : il n’y a pas de secret, pas de recette, l’important c’est l’ouverture, l’humilité et l’émerveillement. 

Yves Saint-Laurent

C’était terrible et divin de travailler avec Yves Saint-Laurent. Chacun sait que même sur un défilé, il était capable d’arracher une manche, de renvoyer une tenue. Rien n’était achevé, tant qu’on avait encore la possibilité de changer quelque chose. Yves était d’un perfectionnisme passionné, et heureusement que nous avions des échéances à respecter, que nous ne respections pas, du reste, mais enfin, il y avait un cadre, et nous ne pouvions trop en sortir, cela permettait d’achever quelque chose. Pour autant, le perfectionnisme ne créait aucun regret : dès lors que l’on avait plus la main mise sur une création, qu’elle nous échappait, qu’elle était lancée, c’était terminé, l’on était délivré, et l’on pouvait commencer quelque chose d’autre. 

Opium

C’était un temps fantastique. Lorsque Yves Saint Laurent m’a annoncé qu’il voulait appeler ce parfum Opium, et qu’il voulait savoir si je pensais que c’était possible, j’avais l’audace (on peut dire la naïveté, aussi) de la jeunesse, et je trouvais ce nom immédiatement parfait. L’on ne pouvait pas imaginer que ce parfum, à cause de son nom, serait interdit de vente pendant un an aux Etats-Unis, et qu’en Asie, le nom serait effacé des flacons. Aujourd’hui, je ne crois pas que l’on pourrait lancer un parfum qui porterait le nom d’une drogue. En même temps, à l’époque, bien des gens n’auraient jamais parié sur Opium. C’est là que la jeunesse prend son importance : elle ose miser. 

 

Issey Miyake

Le tout début, avec Issey Miyake était terrifiant. Il ne donnait rien. Le parfum, pour certaines personnes, et a fortiori dans la culture asiatique, est presque un parasite, ne révèle rien, au contraire, il dissimule, pollue la sincérité. Une grande distance existait entre la vision d’Issey et la mienne, de la féminité et de sa beauté. J’étais chargée de faire surgir une fragrance représentant la pensée d’Issey Miyake, or le créateur lui-même ne voulait rien me donner, tant il pensait que je dénaturerais sa vision, que le parfum était un monstre inutile et destructeur de beauté. Et puis un jour, il m’a dit : « ce qui est beau, c’est l’eau ruisselant sur un corps de femme ». Il n’ajouta rien, et ce fut à partir de cet élément que je partie pour créer le flacon d’Eau d’Issey. J’en parlais à mon équipe : « l’indice, c’est l’eau. Il faut créer un flacon de parfum représentant la pureté de l’eau ». Nous nous sommes arrachés les cheveux, nous avons lutté, et puis un jour, satisfaits d’un résultat, je l’ai soumis à Issey. Il l’a regardé, et là, ma dit  « Vous avez compris. » Oh mon Dieu, quel soulagement ! À partir de là, nous étions sur la bonne voie, nous pouvions continuer… et du contenant, le contenu est venu au monde.

Jean-Paul Gaultier

Jean-Paul est un être exquis, et aussi très gourmand. Je le revoie se tourner vers moi, dès que l’on doit rencontrer quelqu’un : « Oh mais oui, nous pourrions lui donner rendez-vous dans telle brasserie, non ? Comme ça on pourrait manger un bout, qu’est-ce que tu en dis ? ». Mais ça traduit bien son appétit de vivre, je trouve, qui se reflète dans ses créations, gourmandes, audacieuses, festives, très vivantes. 

 

Tom Ford 

On ne peut rien refuser à Tom Ford. Personne. Rien. 

 

Alexander McQueen

La mode a tellement perdu, lors de sa mort. Je me rappelle, lorsqu’après chaque défilé, plutôt que d’aller parler aux journalistes, il s’enfermait pendant une heure avec sa maman. Je me souviens d’elle, assise au premier rang bien sûr, petit tailleur et petit sac posé précieusement sur ses jambes, qui regardait consciencieusement les créations de son fils. Il y a dans le monde des génies trop sensibles et que le malheur terrasse. La mort de sa maman était trop difficile.  C’est peut-être aussi cette fragilité qui lui permettait tant de créativité.

Parfum de niche

J’ai entendu quelqu’un utiliser l’expression « parfum d’édition », c’est bien plus élégant, je trouve, non ? Je crois qu’aujourd’hui, beaucoup de choses vont trop vite. L’on attend trop des gens, en tout cas trop rapidement, et il n’y a plus de temps pour la réflexion. En plus de cela, il faut, dans l’industrie du parfum, que le parfum fasse recette. Alors on prend un jus, on le met dans un joli flacon, on le fait représenter par une actrice connue, et on essaye d’en tirer le plus de bénéfices. Mais ce sont les temps qui veulent cela. Pour autant, cela ne signifie pas la fin du parfum tel que je l’aime, et c’est là que le parfum de niche intervient : ces parfums, on ne va pas le nier, coûtent un œil, mais ils ont coûté un œil dans leur élaboration. Il y a une histoire derrière, un désir de toucher au plus près d’un rêve, d’un désir. Et puis il y a des histoires humaines, avec des contacts humains. Il y a du temps consacré à la construction de toutes ces histoires. Un parfum de niche, c’est la sincérité, c’est un travail, une poésie, c’est une passion qui prend le temps d’éclore. 

Erreur

Oh, les erreurs, j’en connais, qui ont été faites, peut-être par moi, d’autres non, mais à quoi bon en parler ? Non, je ne veux pas en parler. Pas de celles qui peuvent blesser. En revanche, je me souviens d’une erreur qui, si elle avait été poussée jusqu’au bout, aurait pu nous coûter cher : ma fille* et moi étions à Milan, afin de présenter des nouveautés Dear Rose. Nous avions un parfum, dont le flacon était encore en ébauche, et que nous avions prévu d’appeler Sympathies for a queen. Nous trouvions cela joli, et adapté à l’histoire que nous voulions raconter. Bon. Voilà qu’une première personne tique sur le nom, et nous demande –très poliment- si nous allions vraiment l’appeler ainsi. Nous laissons dire. Un couple s’amène, et la dame dit à son mari « Oh, poor dear, I hope she’ll be fine… ». C’est là que nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être un petit problème. Le problème était de taille, en réalité : nous ignorions toutes les deux que sympathies, en anglais, signifiait « condoléances » ! 

Dear Rose

A force que l’on me demande « pourquoi pas toi ? », j’ai commencé à me demander pourquoi, effectivement, je n’avais jamais songé à créer mes propres parfums. « Et pourquoi pas ? ». Dear Rose est un jardin, dans lequel fleurissent des histoires. Des histoires de femmes, des histoires de passionnées, d’amour. Chaque parfum est un nouvel aspect de ce jardin, une nouvelle histoire. La nouvelle se nomme Nymphessence. C’est l’aube, une nymphe s’éveille, étire ses membres graciles et lisses, secoue, tranquille, sa longue chevelure, et se mire dans le reflet pur d’un cours d’eau. 

Nymphessence, par Dear Rose, en vente à partir du 28 septembre 2016. Poivre rose teinté de poire et de mandarine, un coeur floral en triptyque : magnolia, freesia et fleur d’oranger. Bois blonds ambrés et muscs blancs.  
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