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Quand Emmanuel Tarpin nous reçoit, le soleil irradie Paris de sa lumière et de sa chaleur. C’est sur une terrasse surplombant un célèbre musée qu’il s’est confié au TTT Magazine. Dans l’îlot de verdure qu’il a créé, à l’image des paysages de sa Haute Savoie natale, le jeune créateur français de 27 ans nous dévoile son parcours, son ascension fulgurante, sa passion pour la joaillerie, avec une sensibilité et humilité rares. Si le souverain anglais Edouard VII déclara que Cartier était le « Joaillier des Rois, Roi des joailliers », nous venons alors de rencontrer le nouveau « Prince de Haute Joaillerie » parisienne.

Des cimes aux cieux.

Je viens de Haute Savoie, d’Annecy précisément. Dans ma jeunesse, j’ai fait beaucoup de musique, du hautbois pendant plus de 10 ans et je pratique également la sculpture depuis près de 14 ans. Mon bac en poche, un bac littéraire avec une option art plastique, je suis parti à Genève, à la Haute Ecole d’Art et de Design, au sein du département design, joaillerie, horlogerie et accessoires. Il y avait une grande quantité de cours techniques en partenariat avec de grandes maisons comme Piaget ou Swarovski, j’ai pu très jeune concevoir des choses très contemporaines et parfois assez différentes des réalisations habituelles de ces maisons, comme des lunettes par exemple. Ayant une passion pour la gemmologie depuis mon enfance, j’ai toujours voulu m’orienter vers la joaillerie. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai travaillé durant trois ans et demi chez Van Cleef and Arpels, dans un atelier de Haute Joaillerie. C’est là que j’ai appris les aspects techniques de mon métier, toutes les étapes de création d’un bijou de A à Z. A la fin de cette période, j’ai sauté le pas et j’ai lancé ma propre marque.

Je réalise des pièces uniques. Mon atelier se trouve à Paris et si j’aime travailler les matériaux « classiques » de la Haute Joaillerie comme l’or ou le platine, j’apprécie de jouer avec de nouvelles matières pour aborder différemment certains aspects pratiques comme la légèreté d’une pièce ou pour trouver de nouvelles façons d’apporter de la couleur avec des alliages, des volumes, de la texture … J’adore expérimenter, essayer de nouvelles choses. Toutes les pièces, après une maquette en cire, sont sculptées à la main. Cela demande beaucoup de temps, tant dans la recherche que dans l’expérimentation. D’où l’impossibilité de créer en série et l’idée que la cliente puisse toujours avoir quelque chose d’unique. 

Normalement, je dessine un modèle et la cliente l’achète. J’aime la liberté de créer. Il m’est arrivé de travailler avec des pierres que des clients m’ont apporté, mais c’est rare. Je souhaite avoir la liberté du design lorsque je conçois un bijou. J’ai besoin de m’exprimer au travers de mes réalisations. Je suis quelqu’un de spontané et lorsque je vois une texture ou une forme, je fais un dessin. Si l’idée me plait vraiment, je passe rapidement à la réalisation avec l’atelier. J’ai peur de perdre cette spontanéité et donc je créé sur le vif, presque par pulsion.

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Emmanuel Tarpin avec les boucles d'oreilles "Orchidées" - Photographié par Hugo Cesto

Les voyages développent la créativité.

Depuis tout petit aussi, j’ai été attiré par les choses qui brillent, les pierres, la gemmologie. J’allais faire les foires et les marchés avec mon père pour enrichir ma collection de minéraux. A l’école primaire, je piquais de la pâte à modeler pour faire des sculptures. Dans le même temps, ma mère lisait Point de Vue et autres revues du même genre dans lesquelles il y avait des articles sur les bijoux des Reines et des Princesses. J’étais fasciné ! Je commençais à songer petit à petit à ce que je pouvais faire de ma vie, et cet aspect de créer quelque chose de mes propres mains prit le dessus. J’aimais modeler des choses, je collectionnais les pierres… J’ai finalement mixé mes passions pour en faire ce qui deviendra plus tard mon métier. Alors que je ne suis pas du tout issu d’une famille de créatifs puisque mes parents sont notaires.

J’ai beaucoup voyagé avec ma famille. C’est évident que cela eut une influence sur mon travail. Mes parents sont un peu des aventuriers et avec mes soeurs, nous avons voyagé chez l’habitants en Russie, en Mongolie, au Japon, en Chine, j’ai pris le Transibérien … Toujours avec des expériences humaines très fortes. Quand on vit dans un temple Mongol pendant une semaine, c’est une expérience qui marque. J’ai fait ces voyages à la fin de mon adolescence, donc on prend conscience des choses que l’on vit et on se rend compte de la chance que tu as de faire ce type de rencontres.

Ces voyages ont nourri ma créativité. Mes parents nous ont appris une certaine notion du « luxe » . Ce « luxe », c’est justement la possibilité de découvrir d’autres peuples et connaitre leurs cultures respectives.

Emmanuel Tarpin créations bijoux nature
Boucles d'oreilles "Orchidées" par Emmanuel Tarpin - Photographie par Hugo Cesto

Des sommets alpins aux gratte-ciels new-yorkais.

Je suis quelqu’un qui a vécu avec et dans la nature. Je suis né avec les fleurs. Lorsque je suis en montagne, je peux donner le nom de toutes les fleurs ! Je pense souvent à faire des thèmes avec cette passion pour les fleurs, les plantes en général. On peut le voir avec les feuilles et particulièrement celles de géranium que j’ai réalisées et qui ont été vendues chez Christie’s, il y a un an et demi maintenant. C’est la première pièce que j’ai réalisée et que j’ai vendue aux enchères. Puis après, j’ai conçu des boucles d’oreilles reprenant le motif de feuilles de lierre, mais je n’ai même pas eu le temps de les photographier ! J’ai juste des photos dans mon téléphone. (rire)

Mais l’histoire de cette vente est extraordinaire. Je vais souvent à New York et je connaissais un peu Christie’s puisqu’à Genève, l’une de mes tutrices à l’école y travaillait. Elle m’emmenait voir les expositions des ventes aux enchères car nous étions tous les deux passionnés par la Haute Joaillerie. En allant à New York, je voulais juste avoir l’avis de professionnels de l’expertise sur mon travail, mais pas du tout dans le but de les vendre aux enchères. Pour moi, c’était être confronté aux productions de Cartier, Boucheron ou encore de Van Cleef and Arpels. Je ne pensais pas qu’ils oseraient proposer des pièces de jeunes créateurs. La paire de boucles d’oreilles leur a vraiment beaucoup plu, elle était grande et légère à la fois et cela les a surpris. Ils m’ont proposé de la mettre dans la vente de décembre, la plus prestigieuse de l’année, avec une double page ! C’était complètement fou et j’étais fier et heureux de cela. Qu’ils mettent en avant un jeune créateur comme moi, ça m’a beaucoup touché et j’étais très honoré. Sauf que j’étais mort de trouille à l’approche de cette vente ! Elle s’est très bien déroulée heureusement et ce fut un succès pour nous tous. Avec le recul, je reconnais que cela m’a permis d’avoir une visibilité extraordinaire. Cela offre aussi la possibilité à un maximum de gens de voir mes pièces physiquement avec les expositions dans le monde entier, mais aussi par le biais du catalogue papier et via le site internet de Christie’s.

J’étais aussi anxieux car je suis tout seul dans ma société et je gère tout. Evidement pour se lancer, il faut un peu d’argent de coté et être un peu fou ! Cela n’est vraiment pas évident. Le déclic, c’est que j’avais besoin de cela pour m’exprimer. Je voulais créer des choses. Travailler chez Van Cleef and Arpels était enrichissant, mais à la fin, j’étais frustré puisque je ne pouvais pas créer. C’était vraiment un besoin viscéral chez moi. J’avais besoin d’autre chose, de bouger, d’évoluer… De me mettre en danger ! Il faut essayer pour avancer. Lancer ma société, en 2017, fut donc une décision spontanée mais réfléchie !

Emmanuel Tarpin Portrait
Emmanuel Tarpin - Photographié par Hugo Cesto

Un artiste humble et sincère. 

Depuis un an et demi, j’ai certainement créé une vingtaine de pièces environ. Ce qui est très peu. Je commence tout juste, il y a donc une question de moyens et de temps. C’est beaucoup de travail et je fais énormément d’ajustements durant la réalisation : je modifie la couleur, les formes, je sélectionne les pierres avec attention et minutie. Pour moi, il y a des critères extrêmement importantes dans ce choix : celle de la couleur de la pierre, de la lumière et des reflets qu’elle dégage, de la texture rendue selon son implantation dans le bijou… C’est ce qui rajoute du volume, de la vie à l’objet. C’est de l’expérimentation sur chaque pièce.

Je ne me considère pas comme un artiste, même si la joaillerie à ce niveau là peut-être comparée à de l’Art, une forme de création artistique à part entière. Quand il y a un jeu de matières, de reflets, une recherche pour dégager une émotion, c’est une sensation très particulière lorsque tu crées. Chez moi, c’est le design qui prendra toujours le dessus par rapport à la multitude de pierres qui scintillent. Chez certains joailliers, c’est devenu le contraire… Et effectivement, il y a de la peinture et du dessin dans mes créations, cela mêle toutes mes inspirations parce que je suis inspiré par l’Art en général et en particulier par l’Art classique et contemporain.

L’inspiration, je peux la trouver dans un musée, dans une oeuvre, dans quelque chose que je vois ou je que perçois et surtout par rapport à mon vécu. J’adore l’Art cinétique aussi. L’idée du mouvement me fascine. Dans mes boucles d’oreilles en aluminium noir, l’idée était de figer un rythme. Toutefois, je ne suis pas encore à concevoir des pièces mouvantes ! (rire) J’aime également l’idée du trompe l’œil, l’idée du mouvement sans qu’il se réalise pour autant.

Emmanuel Tarpin créations bijoux
Boucles d'oreilles "Orchidées" et "Arum pourpres", broche "Hortensia fané" par Emmanuel Tarpin - Photographie par Hugo Cesto

Aurait-on découvert le successeur de Suzanne Belperron ?

Je suis exigeant sur la qualité des gemmes. Les pierres m’inspirent. Par exemple, je préfère une émeraude avec une superbe couleur et quelques jardins plutôt qu’une parfaite sans inclusions avec une couleur fade. Une pierre, c’est quelque chose d’unique. J’adore les émeraudes car il y a de la vie dedans, par ses jardins notamment. J’aime aussi les pierres dans les nuances de fuchsia, comme la tourmaline. Les saphirs sont intéressants puisque jouant avec les dégradés dans mes pièces, j’en utilise souvent. C’est surtout un feeling avec la couleur d’une pierre. Je ne me focalise pas sur le diamant, le rubis ou le saphir ! J’aime être libre.

J’ai réalisé des bagues, des bracelets, des boucles d’oreilles mais je n’ai pas encore conçu de collier car je cherche la bonne idée. Les boucles d’oreilles, c’est ce que je préfère faire. Il y a un rapport au visage qui me fascine. C’est la première chose que l’on voit chez quelqu’un, un jeu avec les expressions de la personne. Avec les bagues, j’ai moins de capacités à jouer. Si l’on prend l’une de mes dernières réalisations, une bague fleur en or jaune et vert, la mienne n’est pas articulée et je voulais pas mettre de mécanisme pour tomber dans la facilité. Les pierres sont à l’intérieur et elles sont visibles d’une manière discrète. Pourtant j’aime bien les bijoux à secret, pour donner cette frustration aux gens. J’ai également dessiné des broches, dont une reprenant la forme d’une fleur d’hortensia.

Je ne pense pas avoir de cliente type. Elles forment un groupe hétéroclite. On me dit que c’est souvent des femmes exubérantes qui portent mes pièces, ce n’est pas vrai ! Mes réalisations se mêlent très bien avec des tenues classiques. On peut aussi bien les porter avec un tailleur Chanel qu’avec un tee-shirt et un jean et c’est très beau ainsi. Je pense pouvoir dire que mes clientes sont des femmes qui aiment l’Art en général, qui ont le sens du détail au point d’analyser mes pièces dans les moindre détails, non pour trouver un défaut mais plus pour le plaisir de les observer sous toutes les coutures, apprécier les courbes, le travail. Ce n’est pas une simple rivière de diamants, l’approche est différente.

Emmanuel Tarpin Portrait tableau
Emmanuel Tarpin posant devant l'oeuvre "Pansy" de Will Boone - Photographié par Hugo Cesto

Un jeune créateur qui impose son style.

A Paris, je suis mon propre représentant. A New York, Lee Siegelson m’a proposé d’être exposé dans sa galerie. J’ai fait Gem Genève, le salon de la Haute Joaillerie en Suisse et j’ai eu beaucoup de retours positifs. Cependant, cela restait l’avis de professionnels ou de marchands sur un joaillier parmi tant d’autres exposants. Ce salon a été très bénéfique pour moi mais je ne produis pas assez de pièces pour faire des foires. C’est bien de rencontrer d’autres créateurs mais ce que je préfère, c’est le contact direct avec mes clients.

J’ai un coté très naïf, je suis mon instinct. C’est à l’opposé du milieu de la joaillerie. J’ai toujours voulu cette liberté créatrice et je ne voudrais jamais la perdre. Lorsque je me suis lancé à mon compte, j’ai beaucoup réfléchi au nom de ma marque. Car pour ne rien vous cacher, mon poinçon étant mes initiales, ça donne E.T. et à l’international, cela pouvait sonner mal ! (rire) Mais pourquoi inventer un concept, une story telling sur un nom de marque si les bijoux sont forts visuellement et qu’ils me représentent ? Alors j’ai gardé mon nom, tout simplement.

Le mot de la fin

Si tu étais …

Une ligne ou station de métro ?

Varenne ou Invalides.

Un quartier de Paris ?

Le 7e arrondissement. 

Une couleur Pantone ou de l’arc en ciel ?

Fuschia.

Une chanson ?

Edvard Grieg : Peer Gynt Suite No.1, Opéra 46

Un animal sauvage ?

Un martin-pêcheur, autant dans l’air que dans l’eau.

Une voiture ?

Ma voiture, une vieille Fiat 500. Les gens te sourient quand tu es dedans.

Une saison ?

Le printemps.

Un parfum ou une odeur ?

Celle du muguet.

Une association plat et vin ?

Cos d’Estournel avec un carpaccio de boeuf.

Retrouvez la suite de cet entretien dans le numéro IX du TTT Magazine.

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