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Louis Gabriel Nouchi, plaidoyer pour une masculinité ouverte

Dans une société masculine revendiquant sa part de douceur et de poésie, il devient de plus en plus important d’être à l’écoute des nouveaux créateurs apparaissant sur le marché de la mode. C’est ainsi qu’à Paris, TTT est parti à la rencontre de Louis Gabriel Nouchi, diplômé de l’école de La Cambre, récompensé au festival de Hyères en 2014 et fondateur de la marque LGN. Ayant fait ses armes chez Vogue puis Raf Simons, Louis Gabriel dessine aujourd’hui un vestiaire masculin émancipé de la rugosité virile encore prônée par la vieille école et diffuse ça et là une légèreté rafraichissante, non pas audacieuse, mais nécessaire au vestiaire masculin. Au delà de cette volonté de créer utile, beau et libre, Louis désire également créer pérenne et dans le respect. Respect de quoi, de qui ?
Respect de tout.

 

par Loëry Mingouono-Despalles, photographié par Stéphane Gizard,
stylime Bertille Tabourot avec Rihards Galigins chez Elite Model

Louis Gabriel, tu crées des vêtements pour les hommes. Du coup, j’aimerais te demander quel est, selon toi, le sens du vêtement : pourquoi s’habille t-on ?

On ne peut pas se leurrer, il y a d’abord l’aspect pratique : un vêtement existe par sa fonction. C’est un besoin primaire, qui répond avant tout à un besoin primaire : se couvrir. C’est aussi un indicateur d’appartenance sociale et par là un moyen d’expression. Une revendication. En fait, même ne pas s’intéresser à ce que l’on porte est une revendication. En dehors de ça, il y a la création du vêtement, et sa signification. Personnellement, je crée en me disant que je crée de la beauté. C’est en tout cas ce que je veux. Le vêtement est un produit de consommation, ok, mais c’est aussi quelque chose que l’on aime, qui se garde, et se transmet. Tu sais, quand tu vois cette pièce, que ton coeur se met à battre, et que tu dis « il me la faut! »

Alors à qui s’adressent tes vêtements, et quel est leur message ?

J’essaye un maximum de réaliser des vêtements qui répondent à une esthétique dans laquelle le plus de personnes peuvent se projeter. Ensuite, au delà de tout ce que je peux ou veux exprimer, un pantalon reste un pantalon, et une veste reste une veste. La pièce doit, à mes yeux, avoir des poches, des systèmes de fermetures pratiques et simples, un confort absolu ainsi qu’une grande transparence dans la chaine de production. J’aimerais beaucoup pouvoir faire des vêtements non griffés, afin que l’on puisse se concentrer uniquement sur le vêtement en lui même, et j’aime être le plus honnête et sincère possible dans ce que je fais, et il faut que le vêtement le soit aussi.

Concernant le message que prônent mes vêtements, mes collections ont toujours pour thème un livre : inscrire un texte sur un vêtement sans qu’il soit un étendard publicitaire est un réel challenge, à l’heure actuelle, de même que d’impacter davantage avec du texte plutôt qu’une image. On est dans une ère où le vêtement est de plus en plus réalisé pour être vu plutôt que porté. C’est dommage, car il n’y a plus de sincérité, on ne s’habille plus pour soi, mais pour les autres, et donc, ça fausse l’identité même du vêtement. On perd l’essentiel. 

Penses-tu que ça influence les créateurs dans leur métier ?

Je crois que oui, c’est inévitable : si le consommateur demande des créations faites pour être « instagrammables », on ne peut rester complètement en dehors de ce système. C’est une question générationnelle. Quand on voit la nouvelle génération de créateurs, peut-être qu’elle a compris quelque chose que moi je n’ai pas compris, mais elle ne fait aucune séparation entre réalité du vêtement, et apparence du port de ce même vêtement. L’image est devenue plus importante que le vêtement lui-même.

À l’instar de cette perception d’une société plus sensible aujourd’hui à l’image, penses-tu que celle de la masculinité a changé ces dernières années ? Et dans quel sens ? 

C’est certain que la mode Masculine se libère depuis quelques années. On a eu des précurseurs comme Yohji Yamamoto, ou bien Jean Paul Gauthier, mais il est toujours compliqué pour un homme de s’affranchir du traditionnel costume, même si c’est justement là que ça devient intéressant. Les tailleurs déconstruits de Giorgio Armani ou Paul Smith, sont rentrés dans les mœurs et dans le mass market il n’y a pas si longtemps. Tout de même, aujourd’hui les hommes ont un comportement plus informé sur l’image qu’ils veulent renvoyer d’eux même, ils ne se laissent plus dicter leur style par une société uniformisée. Origine ou conséquence, il y a désormais beaucoup plus d’offre, de choix dans le vestiaire homme. Les changements sont peux être plus subtils mais également pérennes que dans la mode féminine, qui fonctionne trop sur la saisonnalité pour imprimer un changement concret.

À long terme, est-ce donc possible de décloisonner les genres ?

D’un point de vue humain, les gens portent ce qu’ils veulent, du moment qu’ils en ont envie et je pense qu’on peut tout se permettre. En revanche, de mon point de vue technique, les corps sont différents et nécessitent des patronages et des conceptions différentes. Un patronage unisexe revient à créer à partir de volumes abstraits qui ne suivent plus la forme du corps. À mes yeux ça n’a pas de sens. 

Il faut accepter, tout de même, que les morphologies masculines et féminines se sont rapprochées cette dernière décennie. Bien sûr, je ne pense pas qu’une jupe crayon soit le vêtement le plus pratique au monde, pour un homme, ou pour une femme, d’ailleurs ! Le vêtement masculin a une part de fonctionnalité indéniable par rapport au vêtement féminin. Aucun homme ne voudrait avoir le système de fermeture d’une veste dans le dos, comme c’est le cas pour la plupart des robes féminines. Mais il s’agit peut-être seulement d’un cycle : les hommes, au travers de l’histoire, ont souvent eu des vêtements  plus richement décorés que les femmes. Par ailleurs, la plupart des vêtements ethniques sont mixtes en terme de coupe, il n’y a qu’à regarder les kimonos, les djellabas, etc. Il est permis de penser que décloisonner les genres à l’heure actuelle constitue peut-être les prémices d’un nouvel uniforme, partagé cette fois par les deux sexes, à part égale. C’est ce que je trouve intéressant dans la création de ma première collection femme, prévue pour début 2019 : j’essaye de conférer à des pièces féminines la même liberté de mouvement, la même émancipation, qu’à un vêtement homme. 

Le genre masculin pourra t-il, à ton avis, se séparer de la société patriarcale ? 

Si la société arrivait un jour à une véritable égalité des salaires, une parité dans tous les domaines, si toutes les revendications en terme de libertés et droits individuels entre hommes et femmes était écoutées et appliquées, le monde se porterait très certainement mieux. Pour autant, on avance, parfois lentement, et souvent un pas en avant, deux en arrière, à cause, notamment, d’une inquiétude croissance pour l’avenir, mais la conscience s’étend, et l’homme prend de plus en plus connaissance de ce qui est beau, et donc bon, pour lui. Reste à savoir si l’homme a envie de s’émanciper d’un schéma social qui reste, malheureusement, à son avantage. Je crois que oui. C’est une question de temps, et il faut accepter qu’il passe plus lentement qu’on ne le voudrait.

Quel est l’avenir, selon toi, de la silhouette masculine, et allant plus loin, de l’homme dans la société ?

Un avenir très certainement plus oversized, plus confortable. Peut-être qu’une nouvelle forme de codes «  corporate » va voir le jour, ce serait intéressant à observer, et significatif. On ne peut pas, non plus, écarter la conscience écologique, qui prend de plus en plus d’importance, parallèlement à l’hyper-connexion. Ce sont des facteurs qui vont, je pense, grandement influencer la mode. L’important, pour l’homme, c’est qu’il s’écoute, et reste en phase avec lui-même. 

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