TTT écrit à Martin Margiela, mis à l’honneur au Musée des Arts Décoratifs, du 22 mars au 2 septembre 2018, dans l’exposition Margiela, les années Hermès, qui retrace ces six années (1997-2003) de collaboration entre le grand créateur belge et la prestigieuse maison Hermès.
Monsieur Margiela,
J’ai longuement réfléchi à la personne qui inaugurerait cette nouvelle chronique, que je voudrais éternelle. Je m’étais arrêté sur Martha Graham, puisque son livre, Mémoire de la danse, reste depuis dix ans ma bible. Mais écrire à la vie est plus jouissif qu’écrire au passé.
Et puis, ce 21 mars au matin, en errant sur ce fil d’Ariane en damier qu’est l’exposition Margiela, les années Hermès, (que l’on a pu admirer à Anvers en 2017), et qui consacre vos années artistiques dans la grande maison, tout m’est apparu plus clair, alors même que vous préférez rester dans l’ombre.
Dans Mémoire de la danse, Martha Graham se souvient qu’une amie, la complimentant sur la manière qu’elle avait de choir dans ses danses, l’avait comparée à un papier de soie, tandis que les autres danseurs ressemblaient à des sacs en papier. C’est la magie, le propre d’un créateur, que d’ajouter de l’élégance à la vérité. Une chute reste une chute, mais il en est des belles. De même, vos vêtements ne dissimulent rien mais révèlent l’harmonie, la poésie d’une silhouette.
« C’est la magie, le propre d’un créateur, que d’ajouter de l’élégance à la vérité. »
L’intelligence du mouvement, de la démarche, de l’attitude, se retrouve dans chacun de vos vêtements. Tout semble pensé pour que le tissu se meuve naturellement, sans se froisser, comme un drap glisse sur un corps endormi. Avec vous, mettre un vêtement est une parenthèse intime, divine, et l’ôter est une sensualité discrète, un geste tout, sauf anodin. C’est une ligne de beauté qui se nourrit de l’allure d’un corps. Vos créations sont faites pour vivre, pour hésiter, pour foncer, pour danser et pour poser crânement devant le speed du siècle. Le mouvement, oui, mais la hâte, non. C’est ce qui transparait le plus, dans vos vêtements : l’importance du mouvement, de chaque mouvement. Vous vous dépouillez du superficiel pour valoriser deux aspects de l’existence que de nombreuses personnes négligent, l’importance de chaque instant, et l’élégance de soi. Comment ne pas vous remercier pour cela ?

Comment, également, ne pas comprendre qu’il était en réalité tout à fait naturel que vous rejoigniez pour un instant, un instant de six années, la maison Hermès ? Si vous appréciez différemment la notion de temporalité (vous êtes dans la beauté de tous les instants, et Hermès davantage dans la pérennité d’un seul et merveilleux instant), c’est finalement là que vous vous rejoignez, dans cette importance octroyée au temps, à sa vitalité, à sa beauté. Comme Jean-Louis Dumas fut bien inspiré de se tourner vers vous, en octobre 1997, pour dessiner la femme Hermès ! Et comme vous fûtes bien inspiré d’accepter.
En parcourant ces belles années, de 1997 à 2003, dans l’exposition, il est aisé de sentir ce que vous apportez de tranchant à la célèbre griffe. Sans départir la femme Hermès de sa silhouette princière, de son élégance d’un monde où le laid n’existe pas, vous la faites évoluer dans un rêve plus contemporain, moins suranné, d’où elle renait sincère, indépendante, comme si vous lui aviez ôté un de ses voiles, et que, sous le verni, une femme féroce ouvrait les yeux.

© Ralph Mecke
En parallèle, pendant ces quelques années à côtoyer Hermès, votre style s’inspire lui aussi du savoir-faire et de l’exceptionnelle longévité de la maison H. Architecturales, vos créations deviennent plus épurées et paradoxalement plus extravagantes, comme si la rigoureuse Hermès vous guidait sur la voie de vous-même. Le style est affiné, la personnalité entière.
Ce que l’on peut retenir de vous, à travers cette exposition ? L’amour de la ligne, l’amour du mouvement, la constance de l’élégance, une âme au service de la beauté, et peu importe que cette beauté se nomme Margiela ou Hermès, pour vous ce qui compte, c’est la sincérité à travers laquelle elle s’épanouit.
« Vos créations sont faites pour vivre, pour hésiter, pour foncer, pour danser et pour poser crânement devant le speed du siècle. »
Il faut remercier bien bas Marie-Sophie Carron de la Carrière, commissaire de l’exposition, et Olivier Gabet, directeur du Musée des Arts Décoratifs, de nous faire découvrir cette union entre vous et Hermès, sous le tracé inspiré de Bob Verheist, dont la scénographie épurée sait jouer avec habilité des codes des deux maisons.
Il faut également vous remercier d’avoir su faire perdurer cet instinct de la ligne, de la belle sincérité, comme d’autres avant vous l’ont fait vivre, comme d’autres le feront vivre. Tenir le flambeau n’est pas donné à tout le monde, et ce temps où vous l’avez tenu, le ciel en a brillé.
Margiela, les années Hermès
Du 22 mars 2018 au 2 septembre 2018
Musée des Arts Décoratifs
107, rue de Rivoli
75001 Paris
Tél. : +33 (0)1 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries
Autobus : 21, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.