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Jinah Jung ou la créativité écologique

Lier la mode et l’écologie, telle est la volonté de Jinah Jung, jeune créatrice sud-coréenne de talent, tout juste sortie de l’institut Marangoni et comptant parmi les finalistes du festival de Hyères 2018, dans la catégorie Accessoires. A travers ses créations, des sacs et bagages issus de l’éco-design, conçus à partir de prototypes du Coq Sportif, Jinah peut prôner une slow fashion, et cumuler deux composantes fortes de sa personnalité, la création et la responsabilité écocitoyenne. La jeune créatrice se dévoile effectivement comme une créatrice passionnée, aux inspirations diverses, mais également comme une partisane de la planète et de sa sauvegarde. Rencontre avec une personnalité à suivre.

Jinah Jung par Adrien Pelletier

Jinah Jung par Adrien Pelletier

Jinah Jung, à première vue, a un air poupin, attendrissant, adorable. Elle rit lorsqu’elle est gênée, elle écoute avec grande attention ce qu’on lui dit, et je dois concéder que c’est sans doute parce que mon anglais est un cauchemar.  Toujours est-il qu’elle parait innocente, jeune et fraiche. Pourtant, peu à peu, les apparences cèdent le pas à une réalité plus nuancée, et Jinah se révèle être une jeune femme mature, impliquée et décidée. Ayant étudié deux ans à l’Institut Marangoni de Milan et une année à Paris, elle concède avoir une vision désormais bicéphale : « Parfois je pense naturellement comme une sud-coréenne, mais à d’autres moments je réalise que ma réflexion est proprement européenne. Française, même ». Car la jeune femme aime la France. « La liberté de s’exprimer, pas forcément par la voix, mais aussi dans le comportement, dans l’habillement… parfois, en Corée, j’ai l’impression de devoir me cacher, renoncer à une part de moi qui ne trouve pas sa place. Ici je suis moi-même. »

Un bel hommage, couronné de surcroit par une sélection de ses créations au festival International de mode et de photographie, à Hyères, dans la catégorie Accessoires. Un privilège pour la jeune femme, qui représente l’institut Marangoni dans sa première collaboration avec le festival, inaugurant ainsi un nouvel apport à cet événement incontournable. « J’ai passé un moment merveilleux là-bas, car les gens étaient réellement réceptifs à mon discours. Mais certaines questions étaient si pertinentes, que je me trouvais parfois moi-même sans réponse. Il faut constamment être ouvert, accepter de ne pas tout savoir, car apprendre c’est se connaître. Hyères m’a aidé à me trouver davantage. Dans ma personnalité comme dans ma créativité. »

Une créativité qui s’inspire à chaque moment, tant dans sa jeunesse sud-coréenne (sa collection unisexe présentée à l’issue de sa troisième année à l’institut Marangoni, pioche dans le vêtement traditionnel sud-coréen, tout en s’adaptant aux codes occidentaux, mélange subtile et élégant), que dans ce qu’elle apprend chaque jour. Ainsi, ses sacs et bagages de la série Crazy Monster, qui concouraient à Hyères, également exposés ce week-end au Carreau du Temple, à Paris, à l’occasion de la Biennale 1.618, salon-exposition œuvrant pour un luxe « innovant et durable« , s’inspirent tant de l’artiste canadien Brian Jungen, qui a fait sensation avec ses sculptures composées d’Air Jordan reprenant l’esthétique de l’art amérindien, que de Van Gogh : « Tout dans sa vie est impressionnant. J’adorerais, ne serait-ce qu’un jour, voir le monde à travers ses yeux ». En matière de mode, Jinah prêche pour la paroisse de Raf Simons : « Sa manière d’agencer les couleurs est phénoménale.» De fait, les sacs de la jeune créatrice sont inspirants, effrayants même, et la série porte parfaitement son nom de Crazy Monster, comme si chaque pièce était une dégénérescence d’un produit désormais perdu. Plus que des accessoires, ces pièces interrogent, mettent l’accent sur l’idée de surconsommation, de consumérisme, et sur notre propre responsabilité.

Une des créations de Jinah Jung
Une des créations de Jinah Jung

Car là où Jinah Jung trouve avant tout son inspiration, c’est dans le monde qui l’entoure. « Tout ce que je vois, tout ce que je vis, m’inspire, est source de création, de réflexion. » Et avant tout, la nature. À l’âge de neuf ans, Jinah ouvre un livre traitant de la nature, et du rapport que l’être humain doit avoir avec elle pour la préserver. « En réalité, et c’est incroyable qu’à 9 ans j’ai eu cette conscience, en protégeant la nature, c’est nous-même que l’on préserve. Nous en somme si dépendants, qu’il n’est pas même important mais primordial d’en prendre soin. » Un discours beau et profond, qui pourrait très bien ne pas s’appuyer sur du concret, l’inévitable « faites ce que je dis, et pas ce que je fais ». Avec Jinah il n’en est rien. La créatrice s’impose de travailler avec des matériaux n’ayant plus d’utilité, dans le but d’éviter le gaspillage monstrueux qui sévit dans l’industrie de la mode. « Je n’avais, au départ, pas même eu l’idée de créer des sacs. C’est en conjuguant ma créativité à mon désespoir devant ces monceaux de pertes plastifiées, que j’ai eu l’idée de conférer à ces lambeaux de création un nouveau souffle, une utilité. »

Pour cela, Frédéric Pertusier, directeur de création du Coq Sportif, a été d’un précieux apport. « Sans son aide, ma démarche aurait été beaucoup plus difficile à concrétiser. Frédéric s’est immédiatement montré très enthousiaste à l’idée de pouvoir m’aider, et tout s’est fait très simplement. » Frédéric Pertusier de renchérir : « Le Coq Sportif s’engage de plus en plus dans une démarche responsable, par exemple par le retour, il y a huit ans, de l’usine de développement textile à Romilly-sur-Seine. La proposition de Jinah était la bienvenue, et nous lui avons ouvert les portes de nos stocks de prototypes avec plaisir. » Un engagement réussi, donc, et satisfaisant pour les deux parties.

Une des créations de Jinah Jung
Une des créations de Jinah Jung

Au-delà de cet engagement écologique, c’est bien toute une vision de la mode, mais également de l’élégance, qui s’inscrit dans la démarche de la jeune créatrice. «Mes sacs ne sont pas genrés. Ma collection de fin d’année était unisexe, et je continuerai de créer pour les deux sexes, que ce soit en vêtements ou en accessoires. Je suis une femme, certes, mais avant tout, je me ressens et m’appréhende comme un être humain. Mes créations sont ainsi conçues pour un être humain, et non pas pour un sexe. » Un langage fort pour cette jeune femme, en totale adéquation avec son temps, à une époque où le genre tend à s’effacer au profit d’une pensée élargie de la beauté et des codes. « Le streetwear, en ce sens, est une forme d’effacement du sexe au profit de l’humain, puisqu’il rend plus difficile l’insertion d’un code vestimentaire sexualisé ou même genré. c’est une ouverture.« 

Et lorsqu’on lui demande ce qu’est pour elle l’élégance, la jeune créatrice ouvre une nouvelle fenêtre, plus large encore que son ouverture sur l’écologie : « Ah, l’élégance… ça ne tient pas à un vêtement, ni à un accessoire. C’est une beauté intérieure, qui fait mouvoir le corps, le visage. Quelqu’un de sincère, d’ouvert sur le monde, mais également prêt à s’interroger, à se remettre en question, quelqu’un de curieux et d’heureux d’apprendre chaque jour, voilà une personne élégante, dans la pensée, mais également dans sa manière de vivre et de se mouvoir. Vous-même, par exemple, vous êtes souriant, c’est déjà une élégance. »

Ne serait-ce que pour cette flaterie, nous souhaitons le meilleur à Jinah Jung.


EN SAVOIR PLUS

Jinah Jung est exposée à la Biennale 1.618 du 1er au 3 juin, au Carreau du temple. Ses pièces seront également visibles chez Plan 8, à Paris, du 20 au 26 juin 2018 (sur rendez-vous). Vous pouvez également suivre la marque sur Instagram (@jung.paris.official)

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