Balmain. Pour les plus de 30 ans, ce nom est synonyme de féminité, d’un certain éclat, d’une élégance suprême et d’un style de vie luxueux, élitiste. L’ultime audace d’une civilisation arrivée ; mais pour les moins de 30 ans, la griffe rime avec Jenner, joue avec Kim Kardashian, flirte avec les starlettes sans talent – autre qu’une relative beauté et une ultra-popularité – et semble n’avoir de lien avec son passé qu’un nom de 7 lettres.
À l’origine, lorsque Pierre Balmain établit sa maison en 1945, c’est avec la volonté d’effacer le traumatisme d’une guerre aux horreurs innommables. La beauté doit de nouveau régner, l’élégance panser les tristesses de la seconde guerre mondiale, la délicatesse faire oublier la brutalité. Ayant fait ses armes auprès de Lelong, troisième pilier du temple de la mode, à la même époque que Dior et que Givenchy, Pierre Balmain a ce souci de redonner à la femme son aspect onirique. Avec lui, la ligne féminine retrouve son lancé, son élan, sa finesse, et la femme renoue avec une certaine préciosité, mais sans excès. C’est l’avènement d’une nouvelle mode, qui inaugure elle-même l’époque fastueuse de l’après-guerre.
Pendant près de quarante ans, Pierre Balmain s’efforce avec succès de « proposer aux femmes la bonne silhouette pour le bon moment », avant de s’éteindre, en 1982. Depuis cette date, six designers se sont succédés avec la mission de reprendre le flambeau Balmain. La tâche n’est pas des plus simples : comme tous les génies, Pierre Balmain a su conférer une identité solide et unique à sa maison, et prendre son trône n’est pas forcément gage de réussite. Comme pour chaque griffe iconique, lorsque disparaît son créateur, elle perd à jamais quelque chose. Aux successeurs de palier à ce manque en apportant une nouvelle richesse. Pour ceux de Balmain, certains s’y sont cassé les ailes, d’autres ont pris leur envol : Oscar de la Renta et Christophe Decarnin sont de ces adoubés. Avec eux, la femme Balmain fut frondeuse et élégante, éclatante mais pas vulgaire, et innovante tout en restant fidèle à ses principes fondateurs. Signe d’une popularité grandissante, avec Decarnin, nous vîmes ? les Zara, H&M et autres le copier.
Cette popularité n’a cependant plus de bornes depuis 2011. Le départ de Decarnin en avril de la même année a en effet intronisé le début du règne de Rousteing.

Balmain Néo Phénix
Olivier Rousteing. Le nom, chacun le connaît. Le génie, beaucoup l’ont vu dès son arrivée dans la maison, tant il est indéniable. Les lignes sont franches, directes, accrocheuses et puissantes. Les couleurs, recherchées sans être pompeuses. Le résultat donne chaque fois une réussite. Chaque collection est une nouvelle histoire, et plus les années avancent, plus le style s’affirme ; mais est-ce bien celui de Balmain ?
Lorsque l’on regarde la collection Rousteing PE 2017, l’on a du mal, avouons-le, à reconnaître la femme Balmain des années 50. Normal, sans doute, pour une maison qui a fêté ses 71 ans. Cependant, il est des valeurs que l’on ne doit pas oublier pour rester fidèle à un nom. Karl Lagarfeld peut mériter bien des blâmes – Choupette, par exemple – mais, même si Chanel n’a plus vraiment l’aspect pratique voulu par Coco, il faut bien reconnaître que la griffe a conservé une empreinte de féminité rigide et impeccable, et que l’ombre irréprochable et élégante de Coco Chanel plane encore sur l’illustre maison. Rue François Ier, sent-on encore l’ombre de Pierre, chez Balmain ? Celle de Rousteing ne prend-elle pas le pas ?
La femme Rousteing est une femme indépendante et forte, sans détour et sans pudeur. Elle avance dans la vie, et qu’importe si quelqu’un se trouve sur son chemin, les mains d’innocents périront. Illustrant son propos avec des Rihanna, des Kendall Jenner et des Kim K, l’on est bien loin d’Audrey Hepburn, de Sophia Loren ou Ava Gardner. Un trait d’union pourrait être placé entre ces deux époques grâce à Brigitte Bardot, idole populaire des jeunes, mais cela s’arrête ici.
En réalité, ce qui change, chez Balmain, ce n’est pas véritablement le designer. Si Balmain a choisi Rousteing, ce n’est certainement pas à quiconque de contester ce choix, après 5 années de réussite. Ce qui a évolué, chez Balmain, c’est l’âge de la femme, l’époque à laquelle elle existe, et le public à qui elle s’adresse. Les femmes fortes, aujourd’hui, ne sont plus les Audrey Hepburn et les Sophia Loren, avec leur aura de mystère, leur politesse teintée d’espièglerie et le charme de leur personnalité. Une femme forte, aujourd’hui, c’est une femme célèbre, très jeune, et méprisant le commun. On peut déplorer cela, mais c’est alors que l’on ne pense pas avec son temps. La masse érige les règles, et Olivier Rousteing l’a parfaitement compris. Balmain aurait sombré en créant de l’élégance, car l’élégance n’existe plus que dans sa définition d’antan. Rousteing crée des sylphides modernes, regard-d’acier-traits-contourés, et fait des milliards, car 90% des femmes entre 15 et 30 ans veulent en être une. L’individualisme triomphant, où l’on n’est plus une fleur dans un jardin mais une impératrice dévastatrice, est à la mode ; il serait vain de le nier.

Balmain Néo Phénix
Aussi, peut-on reprocher quoique ce soit à Olivier Rousteing ? Il relève Balmain, l’élève là où la maison n’a jamais été, et l’aide à muer dans un monde où même la mode est mise à mal. Hier le vêtement était un écrin, aujourd’hui c’est une armure, et les designers doivent prendre en compte cette mutation. On ne s’habille plus pour plaire mais pour être jalousé, pour écraser.
Un pari sensé, certes, mais risqué : en jouant avec l’ultra-connexion et l’ultra-présence, Balmain pourrait bien user ses cartouches, s’épuiser, et mourir aussi oublié qu’une de ces starlettes qui se remémore en pleurant son quart d’heure de gloire, dix ans auparavant. Quand bien même Balmain survivrait à sa surmédiatisation qatarienne, la maison ne perdra t-elle pas cette élégance distinctive des plus grandes maisons françaises : savoir rester naturelle et ne pas céder au lifting ? En réalité, ce qui attriste dans l’évolution de la femme Balmain, c’est que, si elle reste aussi belle qu’avant, en revanche, heureuse, elle ne l’est plus.
Article initialement publié dans notre n°VI
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