L’hôtel de Salé, en plein cœur du Marais, est havre de paix préservé de la foule du monde entier venue découvrir ce quartier historique de Paris. Rentrons immédiatement par la droite de la cour pour accéder à l’exposition événement proposée jusqu’au 25 août prochain : Calder / Picasso. Ou la rencontre de deux maîtres du XXème siècle ayant la France et Paris comme point d’attache. Profitons de cette visite pour jeter un regard aux deux autres expositions venant de s’ouvrir : Picasso, Diurnes et Picasso, intérieur nuit visibles jusqu’au 14 juillet prochain.
Quand nous pensons à Picasso, nous imaginons des tableaux monumentaux représentant la guerre ou un bordel provençal, mais aussi ces formes humaines que nous essayons de déchiffrer. Mais quand nous pensons à Calder, notre esprit se trouve immédiatement confronté à ces tiges de métal flottant dans l’air et parfois ponctuées de couleurs primaires. Pourquoi alors opposer si frontalement ces icônes du surréalisme et de l’art cinétique ainsi que leurs réalisations dans une exposition événement ? Si les deux avaient pour point commun un certain amour pour la France, ils ont exploré durant leurs carrières respectives, des thèmes aussi vastes que le vide ou encore les corps féminins. Au travers de ce parcours chronologique balayant la première moitié du XX ème siècle, le natif de Malaga en Espagne et celui de Lawnton (Pennsylvanie) aux États Unis firent l’expérience du rendu des œuvres dans l’espace. Elles l’occupe, le capture, le fragmente pour stimuler et faire ressentir aux spectateurs qu’une œuvre n’est pas qu’une surface plane.
Dessiner dans l’espace
Dans un environnement immaculé profitant de la lumière naturelle venant tantôt du jardin, tantôt de la cour d’honneur de ce qui failli abriter le musée du costume dans les années 1960, toiles, sculptures et autres dessins s’offrent à un public captivé par la légèreté de la sélection. Les mobiles de Calder, aux dimensions parfois plus grandes qu’un appartement d’étudiant parisien et aux couleurs brutes, côtoient des sculptures de Picasso d’une finesse et d’une modernité absolue pour des œuvres d’avant-guerre. Les toiles de Pablo répondent à celles d’Alexander par un semblant de figuration. On cherche à comprendre une idée ou une forme. En vain. Et c’est encore plus le cas chez Calder, où il faut seulement se laisser happer par ces formes et couleurs, sans chercher quelconque signification. Tout est pur dans cette exposition. Pas de laïus immense à chaque entrée de salle pour faire plaisir à l’égo de tel ou tel commissaire d’exposition. Juste quelques citations des artistes, d’historiens et de critiques d’art. Quelques mots nous indiquent le thème de la sélection que nous allons parcourir : « Dessiner dans l’espace », « Le vide et le plein » ou encore « Sculpter le vide ». Tellement juste, tellement simple, tellement puissant. Tellement rempli de sens et de matière finalement.
Entre journée de plaisir et nuit coquine
Si la confrontation Calder / Picasso s’expose au rez-de-chaussée et à l’étage noble, les deuxième et troisième étages du musée sont consacrés à deux expositions jouant sur le thème de la lumière. Pas uniquement sur celle présente ou non dans les œuvres mais sur un jeu intéressant de muséographie. Le deuxième étage nous fait parcourir une succession de pièces aux stores tirés, comme pour nous protéger de la lumière de la Méditerranée si chère à Picasso et que l’on retrouve par exemple dans le thème des baigneuses ainsi que dans l’ensemble des toiles proposées aux visiteurs. Le troisième étage nous plonge lui dans la nuit. Ici, les volets sont fermés. La température baisse et la lumière dévoile à peine les poutres de la charpente. Le choix de plonger le visiteur dans une nuit artificielle est parfaitement en raccord avec les tableaux : des dessins érotiques aux peintures de nuit évoquant les rêves, tous proviennent de la collection du maître espagnol. L’ambiance, intimiste et douce, renforce à merveille notre déambulation dans des œuvres plutôt inconnues du grand public et relevant du goût de Picasso pour ces amis et modèles artistes. En quittant ces expositions temporaires, que nous venons de visiter de bas en haut, nous comprenons l’articulation entre elles : du questionnement entre le vide et l’espace à l’opposition entre le jour et la nuit, c’est les contraires qui s’affrontent au musée Picasso. Et ne dit-on pas que les contraires s’attirent ?
© Photos : Voyez-Vous/Vinciane Lebrun
Couverture : Arnold Newmann – Getty Image
© Succession Picasso – Fondation Calder
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.