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Obsession Dietrich : dans l’intimité de Marlene

Edouard Taufenbach et Bastien Pourtout présente leur travail sur la collection de Pierre Passebon

Jusqu’au 15 mars, la galerie du Passage accueille l’exposition « Obsession Dietrich ». D’après la collection de photographies constituée par Pierre Passebon, que l’on a pu voir en partie dans « Obsession Marlene » présentée à la MEP en 2017. Il fait appel aujourd’hui au duo Edouard Taufenbach et Bastien Pourtout afin qu’ils s’approprient, remanient et explorent les clichés d’une icône qui traverse le XXe siècle. Le résultat laisse sans voix tant on rentre dans l’intimité d’une Marlene que l’on pensait connaître : au fil des photographies se dévoile la ruse, les artifices et le modernisme d’une force graphique que l’artiste contrôlait à sa guise. C’est une Marlene plurielle, sensible et tourmentée qui nous est contée par cette œuvre à quatre mains, nous rencontrons à cette occasion messieurs Passebon, Taufenbach et Pourtout.

Situé dans l’un des plus discrets passages couverts de la capitale, au 20 galerie Véro-Dodat dans le 1e arrondissement, le « passage » de Pierre Passebon occupe une place de choix en ces lieux qui attire depuis longtemps le tout-Paris. Spécialiste en mobilier et œuvres d’arts du XXe siècle, Pierre Passebon entretient une relation particulière avec une femme qu’il adule depuis adolescent, « sa Marlene », il pourrait en parler pendant des jours, l’exposition qu’il accueille est le fruit d’une commande : la synthèse de ces années d’obsession sous un regard contemporain.  

Marlene Dietrich Expo

Les deux artistes sont remarqués en 2018 par leur série « Spéculaire » présentée à Paris Photo, la technique du photocollage, réalisé à partir de la collection de Sébastien Lifshistz, va attirer l’œil du galeriste qui souhaitait user de ce procédé pour sa collection. Une composition en question/réponse, à la manière d’un échange de photos sur Instagram que l’on superposerait jusqu’à reconstituer le fil d’une histoire. Edouard Taufenbach nous étaye le processus : « On a tourné les images dans une composition kaléidoscopique, avec une composition en pointe de diamant, mais elle est parfois plus structurée, plus verticale ». À quoi Bastien Pourtout ajoute : « On ne communiquait pas sur l’image qu’on était en train de faire. C’est un peu comme un tandem : il fallait que nous soyons d’accord sur la direction à prendre. Il y avait forcément l’un de nous deux qui avait une idée et il nous fallait faire accepter à l’autre cette idée », donnant au processus non pas des compromis mais bien un échange fructueux où chacun avait voix au chapitre. « C’était un biais de langage, on s’est attribué des rôles sans se le dire. » nous glisse Edouard Taufenbach, « À un moment donné l’image a basculé. C’est comme une conversation par les images, toutes les propositions se mettent à vaciller ». De la même façon où la pellicule laisse entrevoir une continuité entre les images, certaines œuvres réinterpréte cette idée d’une Marlene en mouvement sous l’œil de la caméra : « On a gardé toutes les images, comme au cinéma où il y a 24 images secondes. On a choisi de ne pas trop parler, plutôt un échange plastique en essayant de se faire comprendre par les images ».  

Même sans avoir rencontré la personne, il y a une sédimentation de cette image mentale qui se dessine, ce n’était ni la plus grande chanteuse, ni la plus grande actrice, pourtant elle crevait l’écran.  

Dans une enfilade de pièces la galerie de M. Passebon se traverse tandis que le mobilier, les murs et autres composantes formant la scénographie du lieu semble en accord avec certaines œuvres présentées. Du canapé et fauteuils Chesterfield jusqu’à l’impression placée de manière arbitraire entre deux colonnes, une symétrie entre image et temps s’installe dans cette atmosphère où la présence de l’actrice y aurait été invoquée. 

Marlene Dietrich
Obsession Dietrich

Notre chemin se poursuit d’œuvre en œuvre, dans une tentative d’identifier le lien entre l’icône et le duo d’artistes, « On connaissait très peu Marlene », confie Edouard Taufenbach, « mais il y avait cette idée très graphique, une force d’image où on la reconnait très facilement. Toute sa carrière elle a joué l’image en usant de la photographie pour créer son personnage, dessiner sa figure de star, dans ce sens elle est très moderne ». Et en effet un parallélisme nous frappe : celui d’une posture très en avance sur son temps, où Marlene se révèle en totale cohérence avec l’idée de la star contemporaine, il poursuit : « Aujourd’hui si elle était vivante et jeune, elle serait certainement influenceuse et aurait un compte Instagram extrêmement suivi, elle s’est toujours suivie au fur et à mesure du XXe siècle des innovations en photographie. Quand tu l’effaces de l’image, tu la vois encore. » car en vrai icône du réel, elle emprunte et manipule les codes selon ses désirs, faisant de sa silhouette une image plus que singulière, une réminiscence indélébile, « Même sans avoir rencontré la personne, il y a une sédimentation de cette image mentale qui se dessine, ce n’est pas la plus grande chanteuse, ni la plus grande actrice, pourtant elle crevait l’écran ». L’analyse est d’autant plus marquante lorsqu’on la compare à nos perceptions de l’homme ou la femme en tant que « star » aujourd’hui, car vingt ans après sa disparition, Marlene nous étonne toujours : « Elle est drôle, parce qu’elle est star au sens moderne : un peu comme une Kim Kardashian, tu ne sais pas ce qu’elle fait vraiment, alors qu’on la reconnait et beaucoup se reconnaissent en elle ».  

L’idée est là : elle n’a pas besoin d’être la plus belle, mais il faut qu’elle donne l’image d’être la plus belle. 

Dans la dernière salle, nous nous arrêtons un instant sur l’une des compositions préférées de Pierre Passebon : « J’adore cette photo parce que c’est les coulisses, c’est ma Marlene comme elle ne se montre jamais, parce qu’elle se maquille, elle aime rigoler et boire. Il y a une intimité ». Dans celle-ci plusieurs détails se glissent, le rire à pleine dents, un verre de bière, qu’elle tient dans son gant en soie, ces images résonnent avec les années 1920 dans lesquelles elle endosse son rôle, l’archétype de la femme fatale incarnée, à la fois rigoureuse et glamour. « Dans les années Berlin elle apprend beaucoup des travesties », raconte Pierre Passebon, « le coup du boa dans l’Ange bleu, c’est parce qu’elle cache ses cuisses un peu fortes. Elle apprend des travesties pour qu’au final ce soit eux qui l’imitent. C’est ce que j’aime chez Marlene, elle a des amis partout, elle voit tout le monde. » Cette capacité à s’ouvrir aux autres est parfois en décalage avec les mœurs de son temps, une attitude d’autant plus remarquable que l’actrice est fourmille d’idées, de techniques qui lui procure une aura. On est amenés à penser qu’elle séduit sans le moindre effort, une mécanique nous montre pourtant l’inverse selon Edouard Taufenbach : « Quand on a regardé les photos la première fois, on remarque que Marlene est pleine d’artifices et d’idées, il y a une vraie pensée de l’image : on a parlé de ses cuisses un peu fortes et qu’elle mettait son boa dessus, elle trouvait qu’elle avait des mains de pâtissière, alors elle fumait des grandes cigarettes, ça lui fait des longs doigts et sur les photos elle a des mains immenses, tout paraît allongé. L’idée est là : elle n’a pas besoin d’être la plus belle, mais il faut qu’elle donne l’image d’être la plus belle. Et c’est presque une façon de dire Marlene, c’est une construction et une projection de ce qu’il faut », comme si l’actrice était en représentation constante. Pierre Passebon, nous dit de cette adresse « Elle passait ainsi pour la star qui avait les plus jolies jambes de l’époque et elle disait avec son autodérision : non non mais l’important c’est de savoir s’en servir ».

Marlene Dietrich

En véritable passionné, voire amoureux, le galeriste ne manque pas d’anecdote à son sujet, Edouard Taufenbach en est témoin : « Pierre est quelqu’un de très curieux et de très généreux au sens intellectuel, on pourrait rester ici quatre jours et Pierre parlerait de Marlene pendant quatre jours. Lorsqu’on parcourt sa collection, chaque image évoque un film, une anecdote, elle a eu un nombre de relations incroyable et Pierre est une vraie synthèse de ça ». À lui seul, il constitue une mémoire de cette actrice au biais de sa collection, de ses recherches et des rencontres avec ceux qui l’ont connu personnellement. C’est finalement l’enquête de tout une vie, si le mystère Dietrich s’éclaircit un peu, son ambiguïté demeure et il nous est presque impossible de situer Marlene. Elle est d’abord indéfinissable par ses rôles, est-elle plutôt actrice, chanteuse ou icône de mode ? Sans les maîtriser à la perfection, elle laisse paraître l’inverse dans les yeux de son spectateur, ce sont les signes d’une construction méthodique, d’un plan échafaudé sans aucune erreur, nous amenant au dernier point : Marlene est comme tout le monde. Elle aussi cache ses propres troubles, des démons intérieurs sous un masque qui la laisse paraître infaillible, où l’humour, l’humilité et la séduction sont ses meilleures armes. 

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