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Dévoilé en cette fin de semaine, le court-métrage issu de la collaboration entre Saycet et l’illustratrice Julie Joseph est une fable onirique témoignant d’un monde en perdition. « Solaris » est un match parfait entre l’univers esthétique de la créatrice et la frappe electronica, dont le rythme entraîne dans une dimension symbolique, quasi-prophétique. Rencontre avec Pierre Lefeuvre dit Saycet, compositeur astral de la scène française.

Clip Julie Joseph
Pourriez-vous nous décrire votre parcours ? 

Je suis compositeur et producteur de musique électronique à la base, je fais de la musique basée sur le ressenti des émotions contemplatives, plutôt mélancolique on va dire, je suis issu d’une scène de musique électronique, eletronica ou IDM du début des années 2000. J’ai sorti mon premier album de musique en 2005, l’un des premiers de cette scène-là, en France. Cela fait 15 ans que j’en faisais et, au fur et à mesure du temps, je me suis intéressé à la musique de film. Je fais une musique assez identifiable en terme de sonorité, d’émotion. 

Que faisiez-vous avant de sortir votre premier album, étudiez-vous la musique ? 

Pas du tout, je travaillais dans un vidéoclub. Je sors de mes études en tant qu’ingénieur du son et je n’avais pas envie d’en faire mon métier. 

À la sortie de mes études j’ai fais un stage chez le mixeur de Jean-Pierre Jeunet, il me demande ce que je veux faire dans la vie, je lui ai dis que je voulais mixer des films et faire de la musique, il me dit que dans la vie il fallait prendre le choix le plus compliqué, sachant que je suis déjà son stagiaire et que j’ai déjà un pied là-dedans, je devais plutôt faire de la musique. Il me disait que je ne pourrais jamais faire les deux, et me répétait  « tu ne pourras jamais faire ces deux métiers qui te demandent beaucoup trop d’investissement personnel, tu dois choisir rapidement l’une des deux branches. ». 

Donc j’ai choisi de faire de la musique, et il fallait bien que je mange à côté donc je travaillais dans ce vidéoclub, je testais ma musique sur les clients du magasin à l’époque. De temps en temps, je mettais ma musique et je regardais leurs réactions.

Un jour quelqu’un est venu me demander ce quoi il s’agissait, c’était mon futur manager de l’époque et il a envoyé la musique aux Inrocks, j’ai été pris dans leur compilation de l’année où ils mettaient 20 artistes en avant.

Solaris Saycet
C’est astucieux ! 

Oui et c’est comme ça que ça a commencé, il n’y a pas vraiment de hasard dans la mesure où je fais une musique très cinématographique, les gens pensaient que c’était des musiques de films, tout était un peu lié. 

 

Par quoi débute votre processus créatif, une inspiration ?

C’est très austère, ça commence souvent au piano avec une ritournelle, c’est ma base de compo en général. Une fois que j’ai trouvé une suite harmonique qui me plait, je la transpose en synthé par exemple, ou sinon je cherche une rythmique qui peut coller à ça, je peux aussi m’affranchir de la mélodie et me concentrer uniquement sur la rythmique, en tous cas rien à voir avec ma vie privée, ou des sentiments. Plutôt un besoin de s’évader du quotidien.

Vous cherchiez un échappatoire ? 

C’est ça, comme un processus venant de l’adolescence.

Ce processus est amené à changer selon son contexte ?

Forcement l’humeur sera différente, selon l’endroit, le support sur lequel je travaille, et il dépend de mon état en dehors du temps, des préoccupations qu’on peut avoir. Étant assez sensible, et imperméable à ce qu’il se passe autour de moi, c’est en quelque sorte mon coffre fort, mon bunker, même si le mot est un peu dur, c’est aussi une « bulle », là il est peu enchanteur, donc à mi-chemin entre les deux. Cela me permet de ne pas trop cogiter. J’ai pas vraiment de recul, je ne dis rien de mes musiques. J’ai souvent du recul sur mes sons quatre-cinq ans après, je fais un album tous les cinq ans, ou plutôt je mets cinq ans pour le faire.

Dans votre style, quels sont les artistes qui vous inspire ? 

La scène anglaise de l’IDM représenté par le label Worp, clairement cette scène qui m’a influencé, Boards of Canada, Aphex Twin, j’étais alors jeune adulte, j’écoutais alors beaucoup de rock et beaucoup de techno, sur la mélodie j’étais un gros fan de Portishead. Quant est apparu ce courant électronique un peu harmonique, je faisais de la musique comme beaucoup de jeunes qui font de la musique sans projection de composition. J’ai commencé à mixer un peu de techno, en faisant aussi un peu de guitare, le courant d’EDM m’a ouvert ces perspectives. En étudiant ces références là, je me suis rendu compte qu’eux mêmes étaient inspirés d’autres courants antérieurs des 60’s aux 80’s. 

Pourquoi ce nom de scène, Saycet ? 

J’ai pris le nom « Saycet » dès le départ. Ce fameux mixeur de Jean Pierre Jeunet, il me demande de faire une musique pour un film avec Chantal Lauby, par Claudie Ossard. C’était avant le vidéoclub, et je n’avais pas de nom, pas de titre pour le morceau, pas inscrit à la Sacem, je tourne en rond. 

Alors je me balade au Louvre, grâce à mon ancienne carte d’étudiant qui me permettait l’accès aux musées, je me suis dis « la prochaine fois que je vois un mot ce sera mon nom de groupe », je tombe sur un arbre généalogique dans le département d’Égypte antique. C’était purement instinctif, j’étais sous une pression administrative qui me rattrapait, il s’agissait d’un général de Ramses II, donc je n’ai pas théorisé ce nom, j’en ai seulement changé l’orthographe. On est 2003, le début des recherches google, et j’aimais bien que les gens puissent s’approprier un nom qui était presque inconnu. 

Vous semblez beaucoup suivre votre instinct. 

Je ne pense pas qu’il n’y ai qu’une seule direction, dans mon parcours je fonctionne beaucoup à l’intuition. Peut-être que j’arrive à en avoir conscience, je me demande si ce ne serait pas la base même du métier artistique, quel qu’il soit. 

Avez-vous des modèles de références, des artistes dont le processus vous inspire ? 

Je n’ai pas envie de singer les gens que j’écoute, donc je ne me suis pas renseigné là-dessus. J’ai un rapport très intime avec ma musique, et je ne la conscientise pas. Par exemple, je n’ai pas de période de composition. Je pense que c’est la résultante d’un mécanisme de défense. Ça aurait très bien pu intéresser personne ce que je fais, le but principal étant de m’évader. J’aurais pu être écrivain, journaliste, j’aurais fais de la musique à côté. Rien ne m’atteint vis à vis de mon travail. 

Je n’ai pas envie de poser des mots techniques dessus, ou concret, j’aime quand c’est de l’ordre de l’abstrait. 

Racontez-nous les débuts de l’aventure Solaris. 

Ce qui est marrant, c’est que j’ai rencontré Julie de façon très triviale : nous avons travaillé sur un projet publicitaire de Van Cleef, elle souhaitait faire un clip alors je lui ai envoyé Solaris. J’ai terminé le morceau avant même qu’elle travaille sur les images. J’ai immédiatement eu confiance en ce qu’elle faisait, projetait, ça l’a touché, ses images aussi et je n’ai pas eu à intervenir dans son travail. J’ai seulement adapté la longueur de la musique pour qu’elle n’ai pas une charge incommensurable. Toute la genèse de Solaris s’est fait avant le contexte actuel, pendant 3 ans. 

Solaris Saycet
Aujourd’hui, pourrait-il sembler prémonitoire ? 

Oui et non, au fond on l’a tous en nous. On ne vivait pas dans une période très heureuse, et la projection sur le futur n’est pas très réjouissante. Quand on met en perspective avec ce qu’on met aujourd’hui, le thème de la révolte, ce monstre qui avale les populations, ça me fait sourire. Un an plus tard, je pense qu’on est pas trop surpris de ce que nous sommes entrain de vivre. 

Est-ce que les images correspondaient à l’idée que vous vous faisiez de cette musique ? 

 Je ne visualise absolument pas ma musique, comme j’ignore ce qu’elle vaut au moment où elle sort. 

Quand Julie me parlait de l’histoire, je lui disais toute ma confiance. On se connaît pas beaucoup, on s’est vus une dizaine de fois par skype, et jamais en vrai, elle habite Bruxelles et je crois que nous avons un peu la même manière de travailler, ce côté un peu ermite, donc j’ai aimé collaborer de façon non commerciale. J’aimais bien ses films, ses idées, là où elle voulait aller, je savais que ça me plairait, je ne saurais le dire autrement. 

Quand je me suis rendu compte du résultat, je l’ai pris comme un cadeau. Dès la première version, cela a été très naturel, j’ai tout de suite aimé l’esthétique. Comme si nous étions un peu pareils.

Enfin, comment définiriez-vous l’ensemble de votre œuvre ? Il y a-t-il un leitmotiv ? 

À chaque album, j’essaye de garder le même sentiment en changeant la forme. Solaris reprend mes amours électroniques, ils auront le sentiment, la nostalgie, c’est dans la forme, mais j’ai peur de la réception. Dans l’album d’avant, par exemple, il y avait du chant, là j’avais hyper peur qu’on me tourne le dos à cause d’une voix. 

J’ai vécu des déceptions, mais cela m’apporte autant en joie. Je me mets tout le temps dans l’inconfort. Une fois le son sorti, j’en suis toujours très heureux. Le principe de l’évasion est inhérent à mon mode de création.

L’album Layers, intégrant le titre « Solaris », disponible dès septembre sur toutes les plateformes.

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