La cinéaste italienne, déjà primée lors de ses deux passages à Cannes en 2014 et 2018, vient brillamment clore le Festival. Avant un prix ?
« Nous sommes ici en plein mythe et je ne sais pas de quel mythe il s’agit » écrit, dans Un conte de Noël, le personnage de Henri à Elizabeth lors d’une lettre éblouissante en pleine tragédie grecque familiale. On serait tenté de reprendre la même formule en regardant le superbe film d’Alice Rohrwacher, La Chimère, avant-dernier film présenté en compétition de cette quinzaine, tant le film apparaît comme une fable aux ramifications lumineuses. Celui-ci pourrait se résumer ainsi : Arthur (Josh O’Connor), de retour dans une ville italienne bordant la méditerranée, utilise son don pour détecter le vide et aider d’anciens comparses à piller des tombes anciennes sous terre. Il est dans le même temps étrangement séduit par Italia (Carol Duarte, brillante comme lui), femme rayonnante et superstitieuse. Alors de quel mythe s’agit-il ? La question importe finalement peu même au regard du récit, ténu par moments : Alice Rohrwacher semble surtout animée par l’envie de disséquer une forme spécifique dans un film d’été, ce qu’était déjà son précédent long-métrage. La Chimère emprunte d’ailleurs la même veine, en étant moins animé par la morale de sa fable (sans qu’elle en fût absente pour autant) que par une certaine idée du récit. Sa cinéaste s’aide ainsi de 3 formats différents pour dérouler son plan, passant du film de vacances en Super 16mm (les héros s’affairant avec joie à leurs activités interdites) à une action plus sensible en 35mm, notamment quand il s’agit d’évoquer Beniamina, l’amour perdu de Arthur. Ces moments rendent d’ailleurs compte d’une émotion assez inédite dans cette édition cannoise, plus naïve que grandiose, mais renvoyant justement ses spectateurs à la découverte d’une histoire dans l’enfance : avec envie, curiosité et par le trou d’une serrure.

Alice Rohrwacher dessine ainsi son héros à l’image de la fable pleine qu’elle veut mettre en place. On s’étonne ainsi de voir Josh O’Connor porter deux dynamiques différentes de son personnage : une dégradation physique progressive, illustrée par son costume blanc de plus en plus sale quand dans le même temps, il semble peu à peu prendre conscience de la nature de ses actes et y trouve un état de grâce. Il devient alors assez bouleversant de le voir dans un champ-contrechamp, baigné dans la lumière, regarder la tête d’une antiquité en lui murmurant « tu n’es pas faite pour être vue par les hommes » (mais donc par les morts), amorçant à la fois sa déchéance et son élévation spirituelle. C’est dans cette cohérence que le film est le plus beau, aussi, flirtant systématiquement avec la possibilité d’être maudit au-delà du voile par les actes que l’on fait, sans pourtant faire preuve d’un jugement moral qui serait malvenu ; le bien et le mal ne sont pas ici absolus, mais des affaires relatives au monde social que l’on s’est créé. Henri terminait d’ailleurs sa lettre à Elizabeth par des mots mythologiques (« Ce n’était pas ta faute, ni celle du vase, c’était un jeu idiot qui a mal tourné ») : au regard du résultat, alors que la forme du conte est épuisée jusque dans son plan final extraordinaire, il semble évident que la cinéaste de La Chimère les a parfaitement compris.

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