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Côte d’Azur : Une renaissance, pour et par l’Art

De même que Florence est venue à la rescousse de Milan, le sud de la France semble venir délivrer Paris d’un carcan l’isolant dans une solitude dommageable pour la créativité. Renonçant à une réputation frivole et tapageuse alimentée par les lolitas et les stars d’un jour, la Côte d’Azur fait revivre ce temps où les artistes vivaient et créaient une partie de l’année au sein des flots bleus et des mimosas. Pari risqué, mais qui chaque jour se consolide davantage. Découverte de quelques-uns de ces lieux au sein desquels l’art vibre plus que jamais. 

Un petit historique s’impose. Animée par l’attrait du littoral, la Côte d’Azur compte à partir des années 20 les britanniques parmi ses premiers touristes, envieux du climat méditerranéen. La région s’étendant de Marseille, pôle économique et culturel du bassin, au rocher monégasque, stations balnéaires et palaces fleurissent le long de la côte, afin d’accueillir une clientèle croissante. Le foisonnement artistique et mondain se déplace hors des terres et de Biarritz, mais c’est surtout à partir de la fin de l’occupation, notamment par des initiatives comme la réintroduction du Festival de Cannes en 1946, que la relance touristique du Sud-Est s’engage. La vague créative du cinéma d’auteur européen et américain incite architectes et designers à s’inspirer de cet environnement baptisé « French Riviera » .

S’ensuit une métamorphose de ce petit paradis terrestre en un oasis artificiel : casinos, restaurants et bars de plage, boutiques de luxe ayant pour égéries et clientes Brigitte Bardot, Romy Schneider ou Claudia Cardinale, Françoise Sagan, Colette et Jean-Paul Sartre dans un registre plus littéraire. Les Jet-setters atterrissent à l’aéroport de Hyères, ouvrant la voie à la mise en place des vols commerciaux. Découlement logique favorisé par les congés payés, le tourisme de masse commence à s’intéresser au sujet, et la Côte d’Azur développe alors de nombreux campings et résidences hôtelières familiales tandis que l’élite prend ses quartiers dans des lieux prestigieux tels que l’hôtel de La Ponche, à Saint Tropez, ou le Negresco, à Nice. Les années 1990 à 2010 marquent une période faste et pourtant décadente pour Saint-Tropez, sa forte médiatisation de par le monde attirant une nouvelle cible, le monde de la nuit électro. C’est devant cette frénésie devenue par trop populaire que les stars se lassent de leurs clubs habituels et répondent à l’invitation de Jean Roch à redécouvrir le VIP Room sous l’angle de la Presqu’ile. Aujourd’hui, exit les écrivains, les intellectuels, ce sont désormais les Paris Hilton, les Lady Gaga, David Guetta ou même Karl Lagerfeld, que l’on s’arrache dans les lieux les plus prisés du littoral.

L’engouement pour la côte semble s’être apaisé ces dernières années, bien qu’elle reste une étape incontournable en haute saison pour un grand nombre de touristes et de personnalités. La vulgarisation de ces kilomètres enchanteurs a fait s’essouffler l’attrait, s’évaporer ce parfum de beauté et d’élégance, d’intelligence côtoyant la richesse, et jusqu’à peu, ces anciens lieux de prestiges n’évoquaient qu’une étape dans les soirées jet-set, des lolitas, autrefois simple ornement des soirées, désormais cible principale des touristes.

Pourtant, ces dernières années certaines sphères artistiques et intellectuelles regagnent une place certaine sur la scène culturelle du Sud-Est, grâce au courage et à l’action de diverses fondations, iconiques ou plus récentes, à l’instar de la Fondation Venet au Muy. Ce centre, créé en 2014, assure la présentation de l’œuvre de Bernar Venet dans un cadre rêvé : un parc façonné par les installations de James Turell et comportant une chapelle inspirée par Frank Stella. Située au cœur de la région varoise, la Fondation s’inscrit dans une logique portée sur l’art minimale et conceptuel, célébrant l’art contemporain mais également des artistes plus classiques, notamment en célébrant l’anniversaire des 90 ans de la naissance d’Yves Klein. Auteur d’œuvres emblématiques : monochromes bleus, l’IKB (International Klein Blue), couleur dont il dépose un brevet en 1960, une rétrospective, « Yves Klein – Pigment pur », lui est consacrée sur les 200m2 d’exposition qu’offre la galerie.

En longeant la Côte, difficile de résister à l’appel de Hyères, qui rassemble chaque année, par le biais de son Festival de renommée mondiale, la jeune création contemporaine du design mode. Cette 33ème édition, sous l’œil engagé de la presse et de ses lauréats, met en lumière la polyvalence du centre d’art de la Villa Noailles qui s’investit dans les domaines de la photographie, de la mode et du design produit. Une mode à l’écoute de ses usagers et des responsabilités environnementale, comme avec Jinah Jung, jeune créatrice éco-engagée.

Plus à l’Est, ancré dans les terres, le Château La Coste au Puy-Sainte-Réparade est un lieu de culte œnologique confirmé depuis 2006. Ce chai de 200 hectares situé au plein cœur de la Provence, remanié par Jean Nouvel en un lieu à la pointe de la technologie viticole, se voit enrichi en 2014 d’une extension permettant d’accueillir les artistes en vogue le temps d’une exposition. C’est l’architecte japonais Tadao Endo qui s’est vu confié l’honneur de concevoir ce centre d’art contemporain, un aboutissement pour le domaine, qui accueille ainsi cet été, à travers l’objectif et la plasticité de Sophie Calle, une exposition ambitieuse nommée « Dead End ». Scindée en deux parties : une première pièce, « Série Noire », imaginée comme une sépulture, entre installations et photographies, soulignant la sensation donnée par le fait de supprimer de son répertoire un défunt. Prenant place dans le pavillon Renzo Piano du domaine la pièce maitresse de l’artiste , « Douleur Exquise » exposé la première fois en 2004 au centre Pompidou, constitue la seconde partie de cette expérience qui regagnera la galerie Perrotin, rue de Turenne, en fin d’année.

Non loin des vignes, aux portes de la Camargue, la jeune Fondation LUMA vient à peine de surgir des terres arlésienne. À l’initiative de la mécène Maja Hoffmann, milliardaire d’origine suisse, administratrice au Tate Britain, elle croit en la Méditerranée, « berceau de notre culture ». Elle s’est appuyée sur le génie de Franck Gerhy pour dessiner les lignes d’un écrin dédié à l’innovation : une tour, symbole de l’éternel déconstructivisme si caractéristique de l’architecte. La new-yorkaise Annabelle Selldorf se chargea quant à elle de rénover les bâtiments industriels originaux de la SNCF en un vaste espace d’exposition. Ce projet a pour dessein de rassembler chercheurs et artistes, proposant notamment une résidence, des rencontres et des collaborations portées sur l’art, les droits de l’homme et de l’environnement. Ce sont Gilbert & George qui occupent depuis peu une partie des ateliers à travers The Great Exhibition, des fresques sociétales provocatrices sur le sexe, l’argent, le communautarisme et la religion, de 1971 à 2016. Les œuvres de ce duo iconique sont exposés jusqu’au 6 janvier 2019.

À l’extrémité, dans les Alpes Maritimes, Nicolas Ghesquière dévoilait en mai sa collection Croisière pour Louis Vuitton au sein de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, premier défilé accueilli par le village perché sur les hauteurs de Nice, connu pour son charme et son centre d’art contemporain. Inauguré en 1964, ce projet est dû au rêve d’un couple, Marguerite et André Maeght, mécènes unis par la passion commune pour l’art. En résulte un site novateur et intemporel, édifié par Josep Lluís Sert et son ami Joan Miró, exposé dans la galerie Maeght. Actuellement et jusqu’au 11 novembre, c’est l’artiste et metteur en scène belge Jan Fabre, sculpteur de marbre, héritier du surréalisme, qui investit les espaces de la Fondation pour y présenter ses œuvres. Oscillant entre œuvres bouleversantes de réalisme et créations insensées.

Un véritable retour à l’art, à la culture et au raffinement pour la Méditerranée. Dissimulée derrière les clichés superficiels et un nombre de touristes enrichissant mais étouffant, la Côte d’Azur veille jalousement sur la pérennité des institutions telles que la Villa Noailles ou la Fondation Maeght, le développement de nouvelles infrastructures curatoriales comme le Château La Coste et la Fondation Venet, ou d’immense Fablab 2.0 avec la Fondation LUMA. Si l’on a pu le croire endormi sur ses lauriers, le Sud se renouvelle, de manière disparate, certes, mais réelle et de plus en plus active, notamment avec l’appui de Marseille à travers le congrès AntiFashion project ou la Maison de la Mode et de la Méditerranée. Au delà d’un retour vers une Méditerranée culturelle et élitiste, joyaux d’une France intellectuelle enviée des autres pays, c’est également un regard fédéraliste que l’on peut jeter sur cette belle initiative de plus en plus forte : en attirant toujours plus de créateurs, d’événements, et donc de regards, la Côte d’Azur tend une main salvatrice à une capitale engourdie et rassasiée, pour ne pas dire surchargée. En faisant revivre le temps d’une passerelle entre nord et sud, ce nouvel eldorado artistique du sud-est vient raviver la flamme créatrice de la France.

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