Par le médium du cinéma, Ken Loach persiste et signe sa démarche engagée dont il fait de sa griffe le reflet d’une colère sociétale. Sans début ou même de fin déterminante, le spectateur suit à travers le personnage de Ricky (interprété par Kris Hitchen) un père de famille dans le besoin, qui n’a d’autre choix que d’être happé par l’uberisation du monde du travail. D’apparence chauffeur-livreur des plus banals, pourtant maillon indispensable du système consumériste actuel, l’aigreur de ses conditions de travail se révèle comme principal engrenage de l’ensemble de ses soucis. Ricky est pris au piège, entre les objectifs de son n+1 et d’une famille, dont sa présence manque fondamentalement.

C’est l’histoire d’un cercle vicieux
Outre sa photographie, aussi impeccable que pertinente : le cadre d’une banlieue populaire, en Angleterre, où se dressent autant les caractères trempés qu’une infinie bienveillance, les traits dessinés par les protagonistes peut toucher les cordes les plus sensibles. Une mère aimante et à bout (Debbie Honeywood), aide à domicile tout aussi exploitée que son mari, un fils ainé (Rhys Stone) perdu dans sa transition vers l’âge adulte, sa jeune sœur (Katie Proctor) en défaut d’attention, et bouleversée par l’inextirpable instabilité familiale. C’est ainsi que Ken Loach raconte avec l’aide de Paul Laverty, le scénariste collaborant avec lui depuis 1995 et remarqué avec « Moi Daniel Blake » (Palme d’or en 2016), la dure réalité de ceux que l’on ne verrait pas. Les parents représentent des éléments indispensables du quotidien, alors comment la société peut-elle leur rendre ? Pris dans le rythme effréné des évènements, dans la course aux objectifs de croissance et de la satisfaction d’une clientèle peu consciente, ce film souligne parfaitement l’austérité d’un environnement qui fait pression. Cette famille, pleine d’amour et d’incompréhensions, ne fait qu’accumuler les problèmes, dont nous, en tant que spectateur, savons qu’ils ont peu de chances de s’en sortir. C’est le récit tragique d’un ménage qui donnerait l’impossible, une fiction inspirée d’une réalité que l’on ne peut pas concevoir.

L’excuse, détournement cynique
Désolé de vous avoir manqué. Un titre foncièrement poli, dont l’humilité renvoi sans aucun doute à la politique du « client est roi », mais Ken Loach adresse en réalité le message à toute une classe sociale. Des excuses dont il en est pas personnellement responsable, mais qu’il prend en charge au nom de tout un système qui en exécute la violence. « Sorry we missed you » ou le mea culpa qui n’a tout simplement pas lieu d’être. C’est enfoncer l’humiliation jusqu’à son extrême, que d’adresser des excuses à quelqu’un qui ne les mérites pas, Ken Loach renverse ce sentiment car l’humiliation n’est plus celle de Ricky, ou des autres livreurs, mais plutôt du client, du système global : l’unique bourreau. Un film à voir pour une réelle prise de conscience du monde contemporain, des ultimatums et des contraintes de la révolution numérique.

Sorry we missed you
Ken Loach (Royaume-Uni)
En compétition au Festival de Cannes 2019
Avec : Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone,
Katie Proctor, Alfie Dobson et Harriet Ghost
Sortie prochainement en 2019
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