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Ma Vie Avec John F. Donovan, nouveau long métrage de Xavier Dolan

Avec ce premier long métrage en anglais au casting prestigieux, ce n’est pas un film d’Hollywood, mais bien sur Hollywood que nous propose le jeune cinéaste Xavier Dolan. 

Un lien étrange

Rupert (Jacob Tremblay), onze ans, petit garçon solitaire considéré comme « différent » par son entourage, vit seul avec sa mère. Il ne rêve que d’une chose : devenir acteur comme son idole John F. Donovan (Kit Harrington), jeune star hollywoodienne en pleine ascension avec qui il entretient une correspondance sincère. C’est de cette « amitié » insolite que Rupert, désormais adulte (Ben Schnetzer), va vouloir parler à une journaliste sceptique jouée par Thandie Newton. Sous la forme d’une interview, tout comme dans Laurence Anyways, le récit va se construire en mettant en parallèle les deux vies si profondément liées, malgré l’océan qui les sépare. La caméra navigue ainsi de New York à Londres, en passant par Los Angeles ou Prague, nous offrant de splendides vues aériennes. D’un côté, Rupert, petit génie précoce et harcelé à l’école, négligé par sa mère, mais qui par la force de ses mots réussit peu à peu à imposer son identité et de l’autre, John, qui lui a déjà tout en n’ayant rien : riche, célèbre, mais muré dans le silence, il dissimule ce qu’il est, même à sa mère. Et lorsque la vérité éclate, il répondra simplement aux reproches de celle-ci en affirmant : « Je n’ai pas menti, je n’ai rien dit ». Ils ont certes des points en commun, mais cette relation confuse entre les deux personnages, ainsi présentée, nous intrigue autant que la journaliste au regard dubitatif. Pourquoi eux ? Comment ? Ma vie avec John F. Donovan pose ses questions sans y répondre,et on ne peut pas rester longtemps insensible à ce lien presque magique qui soutient tout le film et nous plonge avec force dans ces deux destinées communes qui aspirent à un même horizon et se heurtent à un monde encore loin d’être tolérant. 

Identités fragmentées

Le conformisme hollywoodien est encore bien présent et Dolan nous montre ici à quel point nous construisons notre identité pour les autres plutôt que pour nous même. Jusqu’à refouler nos convictions et nos désirs les plus profonds afin d’obtenir un peu de reconnaissance. John réprime tout ce qu’il est pour parvenir à un rêve qui ne le satisfait même plus. Car le revers de la célébrité devient mortifère pour lui. Derrière l’engouement que son rôle provoque chez les fans, il reste avant tout un être humain et pas une simple image projetée dans un imaginaire collectif. Cloisonné dans son rôle de sex-symbol hétérosexuel et malgré les plans rapprochés intimistes qu’affectionne Dolan, on ne parvient jamais à savoir qui il est, puisque lui même ne le sait plus. Partagé entre le jour où il sourit aux caméras aux bras de sa petite amie officielle (Emily Hampshire), en vérité amie de longue date et la nuit où il se libère dans l’atmosphère électrique des boîtes de nuit il se conduit lui-même irrémédiablement à sa perte.

Ma Vie Avec John F Donovan, nouveau long métrage de Xavier Dolan - Critique et Analyse - TTT Magazine

Un film vertigineux 

Dolan a voulu faire un film ambitieux sur des thèmes qui lui sont chers : la célébrité, l’homosexualité, l’identité dans le monde actuel et les rapports à la famille. Projet peut-être un peu trop ambitieux, car on se perd dans la surcharge d’informations et de sous-intrigues, sans avoir le temps de se familiariser suffisamment avec les personnages. Ainsi les répliques trop écrites de Rupert nous semblent bien trop irréalistes, bien que la crédibilité ne soit pas le propos du film. Il s’agit plutôt d’un immense fantasme : celui de Dolan enfant, qui avait envoyé plein d’espoir une lettre à Leonardo DiCaprio après avoir vu Titanic. On se retrouve face à une immense introspection du réalisateur, fragmentée par trois points de vue différents qui s’entrelacent dans le récit. Cependant Dolan tient à nous rappeler que c’est un film que nous regardons et non sa propre autobiographie, et si les clins d’œil à la réalité sont indéniables (on notera le choix de Kit Harrington, jeune acteur propulsé sur le devant de la scène grâce à une série à succès comme le personnage qu’il incarne), tout le propos du film tient justement à montrer cet écart entre réalité et fiction. La journaliste, point d’accroche dans la narration, vient représenter le public, qui observe et juge. La fermeture en iris sur le regard désespéré de John, renvoie à l’œil de la caméra, toujours omniprésente, mais aussi à notre position de spectateur. 

Ainsi, malgré les scènes tragiques à la « Hollywood » (en référence à la séquence des retrouvailles en pleurs sous la pluie) dont on se serait bien passé, Dolan se démarque bien de ce conformisme et nous donne à réfléchir à travers la vertigineuse mis en abîme du film dans le film, tout en n’oubliant pas le plus important : nous émouvoir.