fbpx

Film d’ouverture de la quinzaine des cinéastes à Cannes cette année, Le procès Goldman revient sur le second procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.

Réalisé par Cédric Kahn à qui l’on doit également La prière (2017) , Fête de famille (2019) et Vie sauvage (2013), ce film de procès en huit-clos rencontre un succès impressionnant depuis sa sortie. Unanimement encensé par la critique, Le procès Goldman enthousiasme aussi le grand public malgré un sujet d’apparence austère, sur une affaire obscure. 

Alors, « pourquoi ce procès nous fascine tant ? »

Pierre Goldman, personnage fascinant 

Tout d’abord, il y a la figure de Pierre Goldman, insaisissable et centrale à la fois. Véritable personnage de cinéma, il est « impossible d’en détourner les yeux». Fils de deux immigrés juifs polonais héros de la résistance, il milita lui-même contre les guerres d’Algérie et du Vietnam et ira jusqu’à combattre au côté du parti révolutionnaire au Vénézuela. C’est sa propre autobiographie, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, écrite en prison à la suite de son premier procès, qui lui vaudra le soutien de toute la gauche intellectuelle de l’époque et lui permettra d’obtenir un second jugement.

 Captivé tant par l’histoire que par la personnalité de Goldman, l’on ressent cet envoûtement de Cédric Khan pour son personnage dans toute la mise en scène  du film et cela même dans les plans dont il est absent. Ainsi, la première séquence du Procès Goldman, brillantissime, nous présente toute la complexité et l’ambiguïté de Pierre Goldman par le biais d’une seule discussion entre ses avocats. Subversif et provocateur, disposé davantage à dénoncer les failles du système judiciaire qu’à assurer sa propre défense, Goldman parvient à faire de son procès une véritable tribune politique. Cela face à un public idéalement représentatif du clivage sociétal post soixante-huit : d’une part des petits étudiants bourgeois, admiratifs et idéalistes d’une gauche dont ils n’embrassent que les idées, de l’autre, des policiers hostiles à l’accusé par principe. Quant au rôle  imposant de Georges Kiejman, il est tenu avec brio par Arthur Harari, compagnon de Justine Triet et co-scénariste d’Anatomie d’une chute, un autre film de procès, palme d’or du festival de Cannes. 

Procès et vérité

On retrouve dans ses deux films des questionnements similaires : comment faire ressurgir la vérité et quelle est-elle lorsque subjectivité et objectivité se mêlent et se confondent à travers les récits de témoins divers, laissant davantage place à l’interprétation qu’à des observations concrètes. Dans les deux cas, il s’agit de reconstituer les événements à partir de ce qui pourrait tout aussi bien être une fiction que la réalité.  Surtout, comment peut -on juger des faits graves (l’assasinat de deux femmes, le meurtre de son mari) sans preuves tangibles, en se reposant uniquement sur des mots ?  A qui laisse-t-on alors la parole, et quelle importance lui accorde-t-on selon celui qui la détient ? Quelle influence ont les apparences dans ces considérations ? Car Sandra Hüller (accusée dans Anatomie d’une chute) comme Pierre Goldman sont surtout jugés pour ce qu’ils sont, des individus à la marge des normes. Sandra est une écrivaine à succès, plus riche et puissante que son mari, à la bisexualité assumée, refusant de sacrifier sa carrière à sa famille, une mauvaise mère en somme. Pierre Goldman est un voyou , un insoumis et un communiste notoire. Ces éléments ne sont peut-être pas à laisser de côté, cependant, quelle place doit avoir la morale dans la justice ? 

Ni Sandra ni Pierre Goldman ne tiennent à s’excuser ou à se justifier, eux aussi persuadés de détenir la vérité, (« Je suis innocent parce que je suis innocent ! » rugit Goldman, exaspéré, au cours de son procès) et ce positionnement radical  va heurter l’institution judiciaire. Cette dernière tend plus que jamais à être remise en question, comme le soulèvent ces deux œuvres complémentaires, sorties à quelques semaines d’intervalles, révélatrices des problématiques de notre époque. 

La mise en scène au service du récit

Il est difficile de s’affranchir des clichés du film de procès, tant celui-ci est codifié. On y retrouve toujours le même cadre, une salle d’audience glaciale et hiérarchisée, la même galerie de personnages à quelques variations près (un juge intransigeant, un accusé innocent, deux avocats virulents l’un envers l’autre) et les mêmes contraintes de temporalités. Véritable scène de théâtre sur laquelle s’affrontent les protagonistes, la représentation de la machine judiciaire devient inévitablement spectaculaire. En contrepoids, Cédric Kahn a fait le choix d’une mise en scène sobre sobre, sans « fioriture», qui se resserre sur les témoignages des différents personnages. Ces visages qui défilent tour à tour forment un échantillon presque sociologique de la fin des années soixante-dix. Cette fois à l’inverse d’Anatomie d’une chute, dans lequel jurés et public  ne formaient qu’une foule anonyme, la caméra se déplace avec attention d’une personne à une autre, capturant les émotions de chacun. Grâce à un jeu permanent sur les focales, Cédric Khan parvient à créer du mouvement dans cet espace restreint, à dessiner les relations et les tensions entre les différents protagonistes, les rapports hiérarchiques, et à découper la parole visuellement avec efficacité. La photographie à grain  du film renforce la sensation de plonger dans le passé, tandis que la cadre, au format quatre tiers, souligne l’aspect théâtral du procès. 

Enfin, comme il s’agit avant tout d’un film de parole, on peut relever les dialogues brillants dont le rythme ne s’essouffle jamais. (À l’exception, peut-être, d’une brève scène en dehors de la salle d’audience, mais qui joue le rôle d’exutoire pour les avocats comme pour les spectateurs). Malgré un sujet et un format (le huis-clos) qui peuvent paraître rebutant, le film nous entraîne immédiatement et parvient même à nous faire rire. Si les acteurs sont indéniablement excellents, leur jeu parfois un peu trop éloquent (on est dans une pièce de théâtre, souvenons-nous en) peut surprendre. S’il faut trouver un défaut au Procès Goldman, ce serait la plaidoirie de maître Bartoli (Christian Mazucchini), second avocat de Goldman, qui sonne  comme à contresens de tout ce que défend son confrère Kiejman. En faisant jouer la corde sentimentale, il s’éloigne de l’inspection minutieuse des faits seuls que retrace laborieusement Kiejman tout au long du procès. Cependant, ce dernier lui-même finira par aller à l’encontre de ces principes en évoquant finalement l’histoire familiale de Goldman et la portée de celle-ci sur son destin.

© Séverine Brigeot – Ad Vitam

©Moonshaker – Ad Vitam

Écrire un commentaire