Avec ce film crépusculaire présenté dans la sélection Cannes Première, Mathieu Amalric trace son chemin dans un cinéma obsédé par la disparition, aidé par une Vicky Crieps immense.
4 ans depuis Barbara et pourtant, on semble avoir laissé Mathieu Amalric là où en était restée son œuvre : sur des fantômes. Serre-moi fort continue donc dans cette veine, racontant d’abord « ce qui semble être l’histoire d’une femme qui s’en va » ; laquelle femme, Clarisse, s’éclipse du jour au lendemain de la maison familiale pour laisser mari et enfants. Le récit vient ensuite naviguer dans des eaux plus troubles, où Clarisse paraît communiquer dans un mouvement invisible avec les membres de sa famille qui continuent leur vie ; dans le même temps sa fuite s’épaissit, au point que l’on perd peu à peu la nature de celle-ci. Ces choix témoignent de deux tentatives communes : l’une consiste à filmer le départ comme une mise à mort. Sans que cette dernière ne soit explicite, les images laissent peu à peu apparaître une allure funèbre, rythmées par le piano de la fille de Clarisse qu’on ne cesse d’entendre au fil des images. De fait le contraste entre l’héroïne et sa famille, renforcé par le montage, laisse éclater cette mélancolie particulière finissant par remplir toutes les images : quand Mathieu Amalric montre un vivant, c’est pour l’opposer à un espace vide immédiatement après – une balançoire vide, une communication face à un miroir, une main qui cherche une surface… N’y aurait-il vraiment qu’un seul départ ?

Les univers parallèles
À côté de ce très beau mouvement, le film suit donc une voie plus tendre mais pas moins bouleversante qu’est la prise du temps sur l’intime familial. Affichée justement en contrechamp du premier choix que l’on vient de décrire, la non-linéarité du récit permet de faire apparaître des fragments, presque des morceaux de films dans le film. Procédant ainsi par séquences, Serre-moi fort semble se déployer par des photographies de quatre vies s’écoulant parallèlement, invisibles, jusqu’à une scène de memory dont les cartes sont des polaroïds d’une famille qui fut ensemble. Ce mouvement de synthèse, très beau, vient montrer combien le film ne cesse de vouloir « paraître » : évoluant dans un labyrinthe, Mathieu Amalric invite les spectateurs à faire usage de leur instinct. C’est aussi ce qui justifie la présence de Vicky Crieps, lumineuse, dont le visage appelle systématiquement au mystère et son sourire à la subsistance des membres de sa famille : il accompagne la trajectoire inéluctable de ses enfants, grandissant, et d’un mari trouvant une place dans un nouveau monde. Cette dissonance entre deux ambitions antagonistes permet ainsi au film de trouver une émotion très particulière, qui résonnera peut-être différemment selon chaque spectateur. À ce titre, l’ambition du film de réaliser ce grand geste d’ensemble honore Mathieu Amalric et lui confère une place toute particulière dans le cinéma français contemporain : en retrait d’un monde et en quête de l’intime, alors que ce dernier mot aura été utilisé tout ce Festival. Le palmarès de ce soir viendra peut-être confirmer que cette thématique fut centrale lors de cette édition, comme s’il était urgent de retrouver une chose : un peu d’émotion.
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