Présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2019, It Must Be Heaven du réalisateur Palestinien Elia Suleiman a reçu cette année une Mention Spéciale du jury. Déjà décoré du Prix du Jury en 2002 pour Intervention Divine, le cinéaste est revenu en compétition avec une comédie burlesque qui porte un regard à la fois émerveillé et interloqué sur notre monde occidental.
Avec un style singulier rappelant Jacques Tati, Buster Keaton ou Pierre Etaix, le film It Must Be Heaven porte à la fois un message politique sur la question d’identité palestinienne, mais aussi, un témoignage éberlué des folies et vilénies du monde. Le film s’ouvre autour de la vie paisible du réalisateur à Nazareth (Elia Suleiman joue son propre rôle, comme dans son précédent long-métrage), animée par ses voisins tantôt voleur de citron, tantôt chasseur d’aigle. Le film comporte peu de dialogues, le personnage principal ne prononcera qu’une seule phrase et se contente d’être un observateur avec un air insouciant ou interrogatif, expressif mais circonspect. Des scènes de vie parfaitement orchestrées, largement inspirées de faits réels et tournées à la dérision dans un sens comique frôlant de près l’absurde tel une scène de Ionesco ou Beckett. Le cinéaste part alors à la recherche d’une terre d’accueil hors des frontières de la Palestine et s’installe à Paris puis à New York. Or, il se rencontre très vite que son pays d’origine le suit comme une ombre, où les situations incongrues rappellent un petit quelque chose de sa patrie.
Paris Paradis ?
It Must Be Heaven est construit comme une pièce classique qui se divise avec un prologue, 3 actes et un épilogue. Les français seront particulièrement touchés de retrouver Paris, où le réalisateur nous plonge dans l’absurde de notre monde contemporain ; les policiers déambulent en gyropode pour mesurer si les terrasses de café respectent les règles et les normes en vigueurs, les chars imposants du 14 juillet traversent les rues étroites du second arrondissement ou encore, la guerre aux fameuses chaises vertes du Palais Royal entre autochtones, jeunes cadres, retraités et touristes médusés. Mention spéciale à une sublime scène où les femmes défilent au croisement de la rue Montorgeuil et Tiquetonne comme un défilé d’une fashion week sans fin, sous la voix gracieuse et envoutante de Nina Simone avec I put a spell on you. Le cinéaste s’amuse de cette France procédurière qui aime se compliquer la vie, seulement, tout en beauté et finesse.
Amérique un jour, puritaine toujours
Le film se poursuit et nous emmène à New York, nous quittons le burlesque pour une critique ouverte sur l’Amérique Trumpiste et le port d’arme. Au beau milieu d’un supermarché, nous découvrons les personnages, fusils à l’épaules ou revolvers de gangsters, les enfants ne sont pas non plus épargné, aux sorties d’écoles semi-automatique à la ceinture ; ou autre ménagère grenade à la mains prête à être dégoupillée… De là, nous partons à Central Park pour rencontrer une jeune femme endimanchée d’ailles d’anges dévoilant sa poitrine, pourchassée d’une ribambelle de policiers NYPD, draps noir à la main en une course poursuite aussi gratuite qu’irrationnel, cherchant à masquer autant le message de cette jeune femme qu’aussi simplement son corps. Critique loufoque d’une Amérique puritaine et conservatrice.
Fantasque et nostalgique, mais inspiré par le désir de la stabilité de son pays, la Palestine, Elia Suleiman nous donne sa vision d’un monde en mutation, où les frontières d’une carte ne sont pas le territoire et dans que chaque lieu, nous nous disons : ça doit être le paradis.
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.