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Crimes of the future, les corps à l’arrêt

Loin du choc annoncé, le retour de David Cronenberg en compétition peine à surprendre, péchant par l’ambition faussement révolutionnaire de son récit que vient combler une imagerie grandiose.

Une séquence, répétée près de trois fois, fait parfaitement illustration des forces et limites de Crimes of the future, nouveau film du cinéaste canadien 8 ans après la présentation de Maps to the stars sur la Croisette. Filmé alternativement en plan large et plan poitrine, Saul (joué par Viggo Mortensen) s’efforce de porter une cuillère de nourriture à sa bouche, assis dans une espèce de fauteuil squelettique mouvant. La scène fascine dans sa capacité à saisir une atmosphère morbide en quelques images – on comprend vite que le corps du personnage souffre de défauts internes, alors qu’il meut sa gorge d’une main – en même temps qu’elle épuise rapidement son crédit, incapable de dépasser les gesticulations de son personnage grommelant. Il faut d’abord revenir au projet initial du film : Crimes of the future fait le récit d’un futur indéfini crépusculaire où les sensations physiques disparaissent progressivement, les êtres humains semblant condamnés à faire de leur corps des objets de performance ; comme si cette disparation avait poussé à se rabattre sur le sanctuaire le plus intime pour l’élever au rang d’objet artistique, au point de se faire pousser de nouveaux organes. Cronenberg veut ainsi faire état d’un paradoxe passionnant où malgré une liberté organique n’ayant jamais été aussi loin, les modifications des corps ne sont pas sans interdits et la transgression reste affaire de règlements par l’Etat. L’écho immédiat à la régulation inquiétante ayant lieu aux États-Unis sur l’avortement est saisissant pour un film d’anticipation, en même temps qu’il oblige à prendre le film au sérieux quand d’autres œuvres présentées cette année s’avèrent incapables de coller à l’époque qu’ils s’attachent à décrire.

Photo de Crimes of the future
Crédits : Nikos Nikolopoulos

Pour autant donc, Crimes of the futures souffre du rapport de sa forme à sa narration qui l’empêche de s’élever à la mesure de ses ambitions. Cela tient paradoxalement à son sujet ambitieux qui cherche à s’inscrire dans une forme légendaire – les humains n’en étant plus, ils tutoient les dieux antiques en usant de distractions à leur hauteur nouvelle. Pour autant, Cronenberg peine franchement à sortir de son cadre formel habituel pour donner corps à son propos : pour revenir à la scène précédemment décrite, ce n’est pas tant la répétition de celle-ci que l’absence d’attaches au récit qui interroge sur la sincérité de ses intentions. Sa facilité déconcertante à faire une synthèse en un plan est ainsi contredite par le sentiment que, au-delà d’un premier postulat sérieux, l’imaginaire de Cronenberg tourne à vide et se retrouve peu à peu glacé. On ne sait plus après 30 minutes ce dont il est question – mêlant pêle-mêle la disparition du sexe, le contrôle des corps – jusqu’à penser qu’il n’est plus que question de faire l’imagerie la plus inquiétante possible. Ainsi, même des scènes d’une grande inspiration formelle (un corps coconné dans une machine et donc surpassé par celle-ci, obsolète) finissent par subir leur propre sujet, incapables d’offrir autre chose qu’un spectacle macabre à ses personnages. Quand Crash explorait avec sincérité le rapport de l’homme à la machine, chaque scène s’attachait méthodiquement à montrer la dépendance et donc l’obsession du premier à la deuxième ; ici, même les interactions des personnages sont caricaturales en apparaissant transitoires, là pour combler ce que l’image est incapable de raconter. Crimes of the future semblait donc vouloir revenir à des thèmes précurseurs chez Cronenberg mais se retrouve très désincarné par rapport à ses œuvres précédentes, oubliant d’être vraiment malin pour venir se placer comme une grande œuvre en bout de carrière du cinéaste.

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