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Le nouveau film de James Gray, présenté en compétition, continue d’explorer l’intime familial sur une trame new-yorkaise autobiographique. En refusant une émotion qu’on lui connaissait, son cinéma prend une épaisseur politique bienvenue.

Il semblait y avoir beaucoup de festivaliers déconcertés par la projection hier d’Armageddon Time. Comme si – conformément à ses quatre passages précédents en sélection – Cannes devait rester condamnée à une herméticité cruelle vis-à-vis d’un des cinéastes américains les plus brillants de sa génération. James Gray donne ici un récit d’inspiration autobiographique sur son enfance dans le Queens des années 80, où un petit garçon turbulent (Paul) évolue dans une famille où son grand-père maternel fait office de repère absolu. Accompagné de son ami Johnny, petit garçon Noir aussi farceur qu’il est regardé de travers par l’ensemble des protagonistes, il doit alors faire face à une pression familiale grandissante.

On pourrait, d’emblée, prendre ce film pour ce qu’il apparaît : une fable naïve où un enfant, faisant l’apprentissage d’une vie dictée par sa famille juive new-yorkaise, voit son cocon rétrécir en parallèle d’un monde extérieur angoissant. Cette description suffit pourtant à situer Armageddon Time à une place particulière dans la filmographie de son auteur : si jusque là James Gray disséquait l’influence du premier cercle sur le monde extérieur, il explore ici le rétrécissement d’une famille confrontée aux tremblements politiques des années 80. Le film semble d’ailleurs faire office de faux prequel à Two Lovers dont le thème musical principal est d’ailleurs repris et modifié ici par son compositeur, Christopher Spelman. Mais loin de la tragédie amoureuse, James Gray regarde cette fois la décrépitude d’une époque comme si l’arrivée de Reagan au pouvoir illustrait une Amérique se condamnant à un repli contre-nature sur ses valeurs morales. Ici il est donc question de piliers vacillants, symbolisés par la sagesse d’un grand-père mourant joué par Anthony Hopkins, jamais aussi bon que quand il est employé sans cabotinage.

Photo de Armageddon Time

Messager « baldwinnien » d’un James Gray se sentant coupable de ses comportements d’enfant, ce grand-père condamne une Amérique qui prend peur de ses valeurs à contrepied de son expansion artistique (Johnny parlant de Sugarhill Gang à Paul, seul émerveillé par Kandinsky dans une scène précédente). Elle ne serait pas condamnée si tant est qu’elle se rappelle « qui lui a fait la courte échelle » : les Noirs, les Juifs, les homos, tout un pan de sa population ayant pris pour les autres. Virtuose, parfois trop dans une mise en scène impeccable mais presque mécanique tant son auteur semble sûr de sa force (accompagné par Darius Khondji à la photographie pour lover le récit dans une lumière crépusculaire), Armageddon Time se refuse pourtant à être un pur récit moraliste. Toute mesure faite, il s’agirait plutôt d’un rappel sur le lieu où le mal prend ses racines, sans faire de bruit ; ainsi, plutôt que d’émouvoir à outrance, James Gray use d’une voix au-dessus de la mêlée comme si, à mesure qu’il vieillissait, il devait convenir d’une forme de rédemption à travers ce qu’il avait appris. Sur ce point, son cinéma garde une ligne directrice consciencieuse où l’intime, tragiquement, ne peut qu’être façonné par son rapport au politique. Charge à lui de prendre ses responsabilités en s’opposant à sa réduction, laquelle commence parfois en chuchotant dans l’obscurité d’une petite cuisine quand il devrait sans cesse s’élargir et se rappeler des valeurs dont sa sécurité est tributaire.

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