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Certainement l’un des films les plus attendus de l’année, Blonde est finalement sorti le 28 septembre sur la plateforme Netflix, suscitant d’ores et déjà des réactions enflammées – dans le bon comme dans le mauvais sens.

Il faut dire que le tournage, commencé en 2019, a été grandement perturbé (et limite abandonné) par la crise du covid, mais aussi par de nombreuses controverses sur les scènes sexuelles, largement commentées par les médias. Présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise et plusieurs fois nominé, le long-métrage divise cependant toujours la critique.

En effet, le réalisateur Andrew Dominik a pu se livrer ici sans retenue à son exercice favori : la réappropriation et l’interprétation du grand mythe populaire. En effet, après un biopic sur le célèbre criminel australien Mark Brandon Read ( Chopper, 2000) et l’épopée revisitée qu’est le western L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007), il s’attaque à un nouveau monument de la culture américaine : l’icône du glamour hollywoodien, Marylin Monroe.

Incarner Marylin

En 2 h 45, le film fait le pari de retracer la vie de l’actrice et sex symbole des années 50, entre image publique étouffante et drames privés.
Adulée par une partie de l’Amérique, fantasme absolu et incarnation de la femme fatale pour des générations, on découvre ici surtout une femme malheureuse, perdue et continuellement soumise à un désir masculin dont elle ne peut s’extraire. Que ce soit avec une Marilyn assaillie par une foule de journalistes vociférant, ou perdue, seule au milieu d’une salle de cinéma remplie d’hommes et agressée par des producteurs graveleux, la caméra nous plaque crûment sous les yeux l’envers du décor et dénonce une mâle gaze répugnant.
Néanmoins, l’on peut noter avec une certaine ironie cette prise de position pour un film écrit, réalisé et produit par des hommes (notamment Brad Pitt, toujours accusé de violences conjugales par son ex épouse), dans lequel certaines scènes affichant le corps de la jeune femme de façon ostentatoire sont largement discutables.

De plus, le choix de l’actrice principale soulève quelques questions. Car même si Ana de Armas (À Couteaux Tirés, Mourir peut attendre) offre une interprétation brillante (malgré un surjeu en particulier au niveau de la voix, excessivement infantilisante), elle est justement l’archétype de la star hollywoodienne parfaite, répondant à tous les standards de beauté de notre époque. Or, contrairement aux idées reçues sur son physique naturel et libre, Marylin Monroe a souffert toute sa vie des diktats de la mode, s’imposant de nombreux régimes, colorations et épilation à l’électrolyse, et passant des heures sur le maquillage. Tourments que le film passe complétement sous silence alors qu’ils ont largement contribué à son mal-être, de même qu’il se contente d’effleurer le travail acharné que l’actrice a fourni toute sa vie pour être à la hauteur et se démarquer des autres vedettes de l’époque.

 Pas un mot non plus sur son endométriose, maladie gynécologique encore trop peu connue et sur laquelle il aurait été pertinent de s’attarder. Sans compter que les fausses-couches à répétition subite par Marilyn sont en grande partie liées à cette pathologie, et non pas à un précédant avortement comme semble le suggérer le film. La scène d’opération est par ailleurs extrêmement violente, et les plans dans lesquels le fœtus s’adresse directement à sa mère sont fortement dérangeants en plus d’être à la limite du kitsch. Ce qui a valu à Blonde d’être accusé par le planning familial de relayer un message anti-avortement. Pour un film se voulant féministe, on a vu mieux.

Entre Fiction et représentation

Tout l’enjeu de Blonde est de percer qui est réellement Norma Jean Baker, derrière la star. Le film joue tout du long sur la dualité entre les deux facettes de la jeune femme, à l’instar du roman éponyme dont il est adapté. Dans ce dernier, Joyce Carol Oates s’est très largement inspiré des mémoires de Marilyn Monroe pour recréer sa propre fiction. Là encore, l’on est en droit de se demander s’il était vraiment nécessaire d’y ajouter une couche de fantasme, mais ce reproche-là s’adresserai dans ce cas plutôt au livre, auquel Dominik s’est efforcé de rester fidèle.
Norma, l’invisible se confronte en permanence à l’étrangère qu’est devenue Marilyn, comme lorsqu’elle se retrouve devant son immense affiche cartonnée, représentation monstrueuse et déformée à laquelle elle ne s’identifie plus : « Ce n’est pas moi, cette créature », balbutie-t-elle alors. Inventée de toute pièce pour son public, le star-system hollywoodien et surtout par les hommes qui l’entourent, elle se retrouve face à elle-même sans se comprendre, sans se reconnaître.
Orpheline (elle n’a jamais connu son père, sa mère est internée.), elle n’a plus aucun repère sur lequel s’appuyer et il lui devient de plus en plus difficile de définir qui elle est. « Tu es libre, tu peux t’inventer. C’est comme si tu t’étais engendrée. », lui assure son amant Charles Chaplin Jr. Mais comme le long-métrage l’exposera cruellement un peu plus tard, elle ne parvient ni à renaître, ni à donner naissance, car elle est trop abîmée, tant par les traumatismes de son enfance que par l’industrie hollywoodienne. Le star système lui a pris son identité comme son corps, au point de lui faire perdre toute notion de consentement. Là encore, une scène en gros plan au voyeurisme illégitime vient pousser la métaphore avec un manque de subtilité quelque peu vexant pour le spectateur.
Ainsi, Norma ne s’appartient plus, et Marilyn lui échappe et nous échappe. Car on reste à distance de l’héroïne, tant les effets visuels marquent une artificialité certes voulue, mais abusive.

Marilyn Monroe Netflix

Une mise en scène qui, comme le récit, se cherche encore

Tout fait donc artificiel dans Blonde: on passe d’une pellicule au grain épais au numérique le plus lisse, du noir au blanc à la couleur, et les décors se succèdent, défilant à la vitesse des personnages qu’ incarne Marilyn tour à tour pour satisfaire son public.
La caméra s’adapte en effet toujours au récit, qu’elle soit très mouvante (jusqu’à être directement accroché aux acteurs) ou à contrario complétement statique, isolant complétement Marilyn dans le cadre. Celle-ci est presque toujours séparée de tous ces interlocuteurs, que ce soit à travers une logique de champ contre champ la coupant de façon très abrupte des autres, ou par les lignes du décor qui la cloisonne de la même façon que le regard masculin.
Bien que la photographie soit très belle, la profusion de filtres appliqués, de changements de ton et d’expériences formelles finit par lasser, et donne l’impression d’une performance stylistique allant dans le sur-signifiant. Les symboles, trop nombreux et trop poussifs (la cendre, les étoiles, puis les fleurs tâchées de sang) manquent encore une fois de subtilité. De même, recréer les images les plus célèbres de Marilyn sans y apporter derrière une réflexion plus profonde, manque d’intérêt.
On peut toutefois apprécier l’aspect très sensoriel du film, ainsi que l’utilisation (Hélas ! Trop rare) du hors champ dans certains plans marquants.
Blonde se termine en enchaînant les scènes cauchemardesques, alors que le rythme devient de plus en plus difficile à suivre et aurait gagné à être resserré. Plus que tout, on se demande ce que Andrew Dominik a voulu nous dire sur la plus célèbre pin-up du cinéma, en dehors d’une souffrance déjà trop endurée.

Matt Kenedy © Courtesy of Netflix

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