Édit : Initialement publié dans le Numéro IX du TTT Magazine, cet article est encore plus d’actualité pour une triple raison. La première, le photographe Stéphane Gizard vient de publier son dernier ouvrage, We removed your post because it doesn’t follow ours Community guidelines, où par cette phrase d’un célèbre réseau social, il dénonce les dictats d’une pudeur controlée. La seconde, c’est le danseur Nathan Gombert qui apparaissait sur l’affiche du Festival de Hyères, reporté comme de nombreux événements. Enfin, la troisième raison, confinement oblige, le passage sur l’envoi de nude à sa / son partenaire du moment ou demain prend encore plus de sens dans cette période.
Paris, en ce début juillet 2019, la canicule s’était installée sur la France. Les corps ont eu chaud, les vêtements s’échappèrent et les peaux, pas forcément encore hâlées, se dévoilaient langoureusement. Les esprits aussi ont eu leurs coup de chaud ; et à l’ère des réseaux sociaux et des applications de rencontres, des images sensuelles et suggestives se sont laissées s’échapper. Tout le monde en parle. Tout le monde veut être open sur le sujet. Mais au final, personne n’ose le faire. Une question de pudeur sûrement. Alors pourquoi cette nudité suggérée par la mode et la publicité, fantasmé au travers d’une photo et désirée pour faire des rencontres, est encore un tabou dans une société soit disant libérée ?
« Deshabillez-moi »
Au cours de la Fashion Week parisienne en juin 2019, Ludovic de Saint Sernin présentait sa collection printemps-été 2020. Shorts suggestifs en cuir, tee-shirts à effet mouillé, slip coupé au dessus du désir, l’ambiance était torride cette après-midi là au Centre Pompidou. Le créateur belge nous a cependant dévoilé des looks plus soft que lors de sa collection précédente, où les pièces de tissus formant ces sous-vêtements étaient reliées entre elles par de simples cordons. Évidement, tout le monde cherchait à apercevoir les attributs des Apollons… Or, très élégant, sans aucune vulgarité et ne cherchant pas le sensationnalisme, sa dernière compagne de publicité ne présentait aucun vêtement : seulement une statue grecque vivante qui nous laissait admirer ce que voulaient voir qui voulait. Partant de ce prédicat, le point ultime de la fashion sphère fut atteint par le créateur Rick Owens lors d’un défilé en janvier 2015, où des sous des voiles de tissus amples et flottant dans le vent, il nous laissait entrevoir l’anatomie des mannequins. Dix ans auparavant, en 2005 à Madrid, c’est la créatrice Alicia Framis qui avait fait sensation en présentant sa collection de maroquinerie sur des Hommes intégralement nu. Cette nudité masculine comme féminine, pratiqué alors avec soin, est employé pour faire vendre des vêtements, à l’image de la campagne de pub de la marque hollandaise Suitsupply, spécialisée dans un vestiaire classique à destination de jeunes générations, qui osa montrer des hommes en costumes aux bras de sublimes créatures dénués de vêtements. Comme depuis plusieurs siècles d’Histoire de l’Art, ou récemment dans les publicités de notre époque moderne, les prises de vues de grands photographes comme les modèles de peintres, les corps nus sont magnifiés et la nudité est autant un outil pour sublimer que pour choquer.
« Pudeur te revoilà »
Les photographes justement, comment appréhendent-ils la nudité ? Stéphane Gizard, photographe reconnu pour son travail sur le sujet et auteur de séries mettant à nu, au sens propre comme au figuré la jeunesse française, à une vision très claire de cette situation. Pour lui, c’est la société qui à imposé cette pudeur et cette retenue « J’ai un état d’esprit très seventie’s et j’ai connu la liberté des années 80. Il ne faut pas oublier qu’il y avait par exemple des jeunes femmes seins nus juste avant le JT de 20h dans le Colaro Show. Et ça choquait personne, au contraire ! Maintenant, la pudeur est une religion prononcée par les médias et par extension, par les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram » explique le photographe, assez agacé de devoir se justifier de capturer sur pellicule des corps dénudés. « Je ne fais pas uniquement de la photo de mode, donc la personne photographiée n’a pas forcement besoin d’être habillé pour exprimer quelque chose ». C’est également internet au sens large qui à réellement transformé la vision de la nudité selon Stéphane Gizard « Internet à formaté les gens et prône une vision unique qui est reprise par les nouvelles générations. C’est une forme de manipulation et de censure organisée pour interdire la nudité, renforçant du coup les frustrations et les déviances ».
La mise à nu
Prolongeant la pensée du photographe parisien sur les frustrations, les applications de rencontres sont les nouveaux lieux de sociabilité digitaux ou physiques ; qui n’a pas fait l’expérience, au bout de quelques lignes et messages échangés sur ces plateformes, d’être confronté à la sempiternelle demande du nude. Ou à de sollicitations parfois plus directes et explicites. Le corps devient une marchandise, chaque détail est scruté comme lorsque nous choisissons nos légumes chez le primeur. Bienvenue dans les nouveaux supermarchés des rencontres, où même l’un des leaders du secteur, Adopte un mec pour ne pas les citer, ne s’y est pas trompé, en faisant d’un caddie de supermarché son logo, devenu mondialement connu. Si auparavant, nous attendions quelques entrevues accompagnées d’autant de verres en terrasse pour voir, tantôt en plein jour, tantôt à la lueur d’un lampadaire traversant la chambre, le corps de notre date, aujourd’hui, nous connaissons intimement l’autre avant même de s’assoir autour d’un mojito.
La beauté sans équivoque
La nudité féminine, suggérée ou dévoilée, semble être mieux acceptée que celle masculine. Et dans certaines activités, cette nudité peut faire partie intégrante du travail. Nathan Gombert, danseur au Ballet National de Marseille et modèle photo, nous explique sa vision de la nudité « Dans le milieu de la danse contemporaine par exemple, il peut y avoir des spectacles partiellement ou intégralement nu, c’est un rapport au corps qui prend le dessus, la relation entre le modèle et son public est particulière. C’est véritablement le contexte qui peut modifier cette perception de la nudité. Tu peux avoir un but d’être nu dans un spectacle ou pour une photo car il y a une démarche artistique derrière. Mais c’est surtout le rapport avec le public qui change la donne. Il sait qu’il va voir de la nudité. Elle n’arrive pas par surprise. Dans la danse contemporaine ou dans les photos de mode que je peux faire, l’audience accepte cela et ça change tout à la perception de la nudité. » explique le jeune danseur.
Un désir de naturel
Marronnier des publications estivales que nous avons pu lire cet été sur la plage, le naturisme est le fait de vivre au plus près de la nature et sans vêtements (elle a même sa journée internationale le 1er juillet), qui est à distinguer du nudisme, consistant à pratiquer certaines activités dans le plus simple appareil comme la randonnée ou la visite d’expositions. Là où les choses ont changé depuis quelques années, c’est la manière de pratiquer ce mode de vie. Exit les vacances avec les parents dans des camps immenses, bonjour les séjours en camping avec des amis. Pas de jugements, pas de complexes, juste le besoin de se libérer de toutes contraintes et passer quelques jours hors d’une société parfois trop rigide. Et finalement, prendre conscience que vivre nu ne change rien à aux relations et aux moments que ces personnes passent ensemble, libérant alors des contraintes sociales dû aux vêtements. D’ailleurs, selon une étude commandée par la fédération nationale du naturisme en mai dernier, 4 millions de français auraient déjà pratiqué cela au moins une fois et 11 millions souhaiteraient essayer.
Envies impudique
Tout le monde parle donc de ces situations, à chacun à sa vision et son rapport à la nudité. Beaucoup souhaitent essayer de nouvelles expériences, mais ils sont moins partant au moment de franchir le pas. Si certains restent aussi pudiques qu’une none venant de rentrer sous les ordres, quelques-uns semblent libérés. Le conditionnel est important. Nudité, société, pudeur, réseaux sociaux, moeurs qui changent… Un cocktail explosif. Une question de contexte sûrement rétorquerons certains. Ils voudraient bien être plus open et libéré. Mais le sont-ils ou le seront-ils ? Pas si-sûr. Molière résumait bien cela dans son Tartuffe « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées ».
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